Les parrains de la présidentielle
Pour présenter sa candidature à l’élection présidentielle, les candidats doivent obtenir le parrainage d’élus de la République. Mais qu’est-ce qui conduit ces derniers à soutenir ou non un candidat ? Comment peut-on expliquer notamment le refus du parrainage, en particulier chez les maires des petites communes ?
Le parrainage des candidats à l’élection présidentielle française fait partie des sujets marronniers de la politique française. Ce moment particulier vient pourtant interroger les rapports complexes entre vie politique nationale et vie politique locale, notamment parce que les candidats à l’élection présidentielle ont besoin de parrainages d’élus, souvent locaux. 42 000 élus sont ainsi habilités à parrainer. Identifier les caractéristiques sociales et politiques des élus les prédisposant au parrainage, ainsi que leurs motivations à choisir de parrainer ou non apparaît ainsi crucial pour comprendre ce qui se joue en amont de l’élection phare du système démocratique français.
- Audemard J., Catlla M., Gouard D., 2022, « Qui parraine et pourquoi : Analyse des parrainages des candidats à l’élection présidentielle de 2022 », Revue française de science politique, n°72, p. 997-1016.
Julien Audemard est membre du CEPEL, Université de Montpellier : julien.audemard@umontpellier.fr
Michel Catlla est membre du CERTOP, Université Toulouse Jean Jaurès : michel.catlla@univ-tlse2.fr
David Gouard est membre du CERTOP, Université Toulouse Jean Jaurès : david.gouard@univ-tlse2.fr
Le système de parrainages
La France n’est pas la seule démocratie parlementaire en Europe à mettre en œuvre un dispositif de filtrage des candidatures à l’élection présidentielle par le biais du soutien d’élus. L’objectif du législateur consiste à la fois à limiter le nombre de candidats en lice, à exclure les candidatures qui remettraient en cause la dignité du scrutin et à garantir la clarté du processus électoral.
Les parrainages des candidats à l’élection présidentielle existent en France depuis 1962. Depuis 1981, le nombre de parrainages requis pour se présenter a été ainsi rehaussé de 100 à 500. En 2016, une loi organique a rendu obligatoire la publicité intégrale de la liste des élus ayant parrainé les différents candidats. Pour autant, le nombre et la part d’élus parrainant un candidat n’ont guère diminué. En 2022, le Conseil constitutionnel a ainsi enregistré 13 427 parrains, soit environ 32 % des élus habilités à parrainer. Différentes catégories d’élus bénéficient de ce droit, parmi lesquels les parlementaires (députés, sénateurs et députés du Parlement européen), les conseillers régionaux et départementaux et enfin les maires, qui forment à eux seuls 83 % de ce vivier d’élus.
La période de dépôt des parrainages s’apparente à un moment exceptionnel où se donnent à voir les rapports, parfois contrariés, entre deux mondes politiques distincts. Les parrainages mobilisent, d’une part, le politique au niveau national marqué par la centralité de l’élection présidentielle en ce qu’elle suscite l’intérêt d’une majorité de citoyens, des principaux acteurs du monde médiatique et, surtout, en ce qu’elle met en action l’ensemble des partis politiques nationaux. La campagne des parrainages mobilise, d’autre part, le politique au niveau local, lequel fonctionne selon des logiques très spécifiques. Constituant l’immense majorité des élus français, les acteurs qui évoluent au niveau politique local sont infiniment moins professionnalisés que les élus nationaux. Contrairement aux élus régionaux, voire départementaux, ils ne sont pas, pour la plupart d’entre eux, membres d’un parti politique. Le paradoxe du système des parrainages des candidats à l’élection présidentielle française tient donc au fait qu’il ne peut raisonnablement fonctionner sans le concours d’une importante partie d’élus, maires de petites communes, qui n’entretiennent qu’un rapport distant aux partis et au niveau politique national.
Interroger la diversité des rapports que les différentes catégories d’élus entretiennent à l’égard du parrainage est ainsi crucial pour comprendre le fonctionnement de notre démocratie. Un questionnaire en ligne a ainsi été diffusé entre juin et juillet 2022 auprès des 42 000 élus habilités à parrainer. Plus de 11 % d’entre eux ont répondu à l’enquête, permettant d’établir un échantillon représentatif des élus, qu’ils aient ou non parrainé.
Les inégales propensions à parrainer
Certains facteurs sociaux et politiques prédisposent plus ou moins les élus à accorder leur parrainage à un candidat. Le sexe et l’âge sont les deux principaux facteurs sociodémographiques : toutes choses égales par ailleurs, les hommes ont plus de probabilités de parrainer que les femmes. De même, la probabilité de parrainer augmente avec l’âge des élus, et cela indépendamment de l’ancienneté de leur mandat. Ces deux facteurs jouent d’ailleurs plus fortement chez les maires que chez les autres élus habilités à parrainer.
Mais les variables politiques expliquent plus fondamentalement les différences entre les élus dans leurs propensions à parrainer. De ce point de vue, la variable la plus discriminante est le type de mandat exercé. En effet, les probabilités de parrainer augmentent sensiblement à mesure que le mandat concerne une collectivité d’échelon supérieur : les élus européens et nationaux sont ceux qui parrainent le plus, devant les conseillers régionaux, les conseillers départementaux et, enfin, les maires. Cette dernière catégorie est elle-même marquée par une logique hiérarchique similaire selon laquelle le parrainage est d’autant plus probable que l’on est maire d’une grande commune.
La proximité partisane déclarée est également un facteur qui influence le choix de parrainer. Plus les élus déclarent être proches d’un parti politique, plus les chances qu’ils aient effectivement parrainé augmentent. De ce point de vue, les élus qui s’auto-positionnent à gauche ont d’ailleurs plus de probabilités de parrainer que les autres élus. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la majorité des maires français s’auto-positionneraient à droite alors qu’en 2022 la majorité des candidats à la présidentielle se situaient à gauche et que le camp de droite était dominé par une candidate des extrêmes. De plus, si les équipes de campagne ciblaient en priorité des élus de leur bord, le fait que les maires de gauche parrainent plus que les autres pourrait également révéler des différences entre organisations partisanes, les partis de droite, hormis Les Républicains, s’appuyant sur des réseaux militants plus restreints.
Pourquoi parrainer : soutien partisan ou pluralisme politique ?
L’idée selon laquelle les élus, depuis l’adoption de la publicité intégrale des parrainages, refusent de parrainer par crainte de pressions politiques est la plus répandue dans le débat public. L’enquête révèle en effet qu’il s’agit bien d’un motif important puisqu’il est mis en avant par plus de la moitié des élus ayant refusé de parrainer, en particulier chez les maires. Mais ce n’est pas le seul motif de refus. Un tiers des élus anticipent aussi que leurs électeurs puissent avoir des réactions négatives. Surtout, les deux tiers des maires concernés craignent de susciter des conflits au sein de leur majorité municipale. Les propensions à parrainer des maires diminuent d’ailleurs lorsque ces derniers estiment que leur majorité municipale est politiquement hétérogène.
Deux types de profils de maires, aussi bien représentés l’un que l’autre, se distinguent selon les motivations associées au parrainage. D’une part, pour les maires intégrés dans les réseaux partisans, le parrainage correspond à un soutien de nature éminemment politique au bénéfice des partis bénéficiant d’un ancrage local important. Le travail de démarchage mené par les équipes de campagne n’a alors d’utilité que d’enregistrer le plus tôt possible dans la campagne un maximum de soutiens. Il prend le plus souvent la forme d’un simple appel à la loyauté.
Le second type d’élus appartient pour la plupart au niveau politique local. Auprès d’eux, le parrainage doit s’obtenir à force de conviction et en jouant le plus souvent sur l’argument du pluralisme politique. Il n’intervient alors pas de façon mécanique, mais au terme d’un véritable effort de campagne, réalisé par les partis les moins ancrés localement. Sans surprise, ce type de profil se retrouve essentiellement chez les parrains des candidats pour qui la phase de dépôt des 500 signatures constitue un obstacle réel pour entrer en compétition.
Ces deux profils de maires renvoit aux inégalités de positions et de ressources, mais aussi à l’éloignement du niveau politique national qui caractérisent cette catégorie d’élus locaux, aussi vaste qu’hétérogène. Entre les candidats professionnels et ces maires, diverses relations se donnent à voir : de loyauté convenue, de sympathie pour le candidat ou ce qu’il représente, mais aussi et surtout de défiance qui peut toutefois s’éclipser au nom du pluralisme démocratique. De ce point de vue, la décision de parrainer certains candidats ne relève pas strictement d’un choix individuel, et gagne au contraire à être pensée comme un acte mettant en jeu des appartenances collectives, qu’elles soient de nature partisane ou territoriale.
Conclusion
L’enquête quantitative a permis d’identifier les facteurs et les raisons qui conduisent à parrainer des candidats à l’élection présidentielle chez les différentes catégories d’élus qui y sont habilités. La réticence à parrainer de la part d’élus locaux, en particulier des maires de petites communes, s’analyse d’abord comme l’expression d’une mise à distance d’un monde politique partisan perçu comme conflictuel. De fait, tandis que les candidats portés par les partis traditionnels collectent leurs parrainages auprès d’élus – pour lesquels le fait de parrainer revient à réaffirmer leur loyauté politique -, les candidats outsiders se voient eux dans l’obligation de déployer d’importants efforts, pour convaincre des élus réticents à afficher un soutien politique. La campagne des parrainages révèle, en creux, les inégalités de ressources mobilisables par les différents candidats.
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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Julien Audemard, Michel Catlla et David Gouard (16 septembre 2024). Les parrains de la présidentielle. Mondes Sociaux. Consulté le 6 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12axu
