Le « renouveau minier » face à ses contradictions
Les porteurs de projets miniers n’échappent désormais plus à l’impératif écologique. Mais comment s’y prennent ces acteurs d’une filière qui, par nature, bouleverse en profondeur les territoires où elle s’implante ? La tentative de « renouveau minier », déployée en France au début des années 2010, s’appuie sur un discours tentant de concilier exploitation et protection de l’environnement. Le propos s’avère cependant insuffisant pour lever les blocages locaux, comme le montre une enquête ethnographique menée entre les Côtes-d’Armor et le Tarn entre 2018 et 2020.
En octobre 2012, Arnaud Montebourg annonce souhaiter un retour des activités minières dans l’Hexagone. Celui qui est alors ministre du Redressement productif prétend concilier préservation des milieux, patriotisme économique et valorisation des ressources minières nationales, face à l’augmentation de la demande en métaux industriels pour la plupart produits en Chine. La douzaine de permis d’exploration et de recherche de mine (PERM) déposés entre 2011 et 2018 se heurte pourtant à des oppositions locales systématiques. L’intégration d’une part de la critique écologiste par les porteurs de projet s’avère cependant insuffisante pour lever les blocages locaux.
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Schrijen D., 2024, « De la mine à l’Airbus. » Les promesses du « renouveau minier » à l’épreuve des contestations locales, des Côtes d’Armor au Tarn, Écologie & Politique, n°68, p. 45-61.
Damien Schrijen est membre du Centre Émile Durkheim, Sciences Po Bordeaux : d.schrijen@sciencespobordeaux.fr
Cet article est publié dans le cadre du festival des campus en transitions “Futurs Proches” (3 octobre 2024) de l’Université de Toulouse
Des mines « responsables » ?
En 2008, la Commission européenne publie l’Initiative matières premières, une communication visant à encourager les États membres à sécuriser leurs approvisionnements en substances définies comme stratégiques pour l’industrie. C’est dans son sillage que le ministre Arnaud Montebourg promeut un « renouveau minier » français. Son successeur au ministère, Emmanuel Macron, s’inscrit dans une démarche proche, en initiant en 2015 la démarche Mine responsable. Celle-ci promeut une industrie minière qui « veille à réduire les impacts environnementaux, sanitaires ainsi que les nuisances (destruction du paysage, bruit…) à toutes les étapes de son cycle de vie. ». Inspirée de la formule « développement durable », l’idée de « mine responsable » permet de neutraliser la conflictualité des activités minières, en occultant l’irréversibilité des dommages environnementaux inhérents à cette industrie.
Certains entrepreneurs miniers n’ont cependant pas attendu ces déclarations gouvernementales pour se lancer. Variscan mines, société à capitaux australiens fondée par deux anciens cadres du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), obtient entre 2014 et 2015 plusieurs PERM (Permis Exclusif de Recherche de Mines), dont trois en Bretagne. Parmi ceux-ci, le permis de Loc-Envel, dans les Côtes-d’Armor, vise le tungstène. Ce métal, que l’on retrouve aussi bien dans les outils industriels que dans l’armement, est produit à plus de 80% par la Chine. Mais le projet se heurte à une opposition locale déterminée, menée par le collectif Douar Didoull (terre sans trou). Dans l’incapacité de mener ses travaux d’exploration, Variscan renonce à l’ensemble de ses titres bretons en 2018. C’est pourtant à cette période qu’une société sud-africaine, Tungstène du Narbonnais dépose la demande de PERM dite de « La Fabrié », cette fois dans le Tarn. Là encore, une résistance s’organise, sous l’impulsion de l’association Stop mines 81. Le prospecteur est débouté en 2022, en dépit d’une intégration plus poussée de la critique.
Projets miniers et contestations locales
Dans le Tarn comme les Côtes-d’Armor, les oppositions invoquent les dommages environnementaux associés aux industries minières : destruction des écosystèmes, modification de la circulation et contamination des eaux souterraines. Ils dénoncent aussi la production de « stériles miniers », de la roche non valorisée qui peut se révéler difficilement gérable sur le long terme. Certains minéraux mis en contact avec l’air libre peuvent par exemple réagir, polluant les sites miniers longtemps après leur fermeture. Les collectifs locaux pointent plus largement une logique économique basée sur une consommation croissante de ressources naturelles. Autant de critiques auxquelles la bonne volonté environnementale affichée des porteurs de projets ne répond que partiellement.
Intégrer la critique…
C’est ainsi que les dirigeants de Variscan rencontrent dès 2012 Bretagne vivante, plus importante association de protection de l’environnement de la région, pour l’assurer de l’absence de risque de pollution des eaux souterraines. Les prospecteurs promettent au journal La Croix « des mines vertes qui serviront de modèle au monde entier » (12/07/2013). Confronté au printemps 2015 à la structuration de Douar Didoull, un des fondateurs de Variscan assure au quotidien régional Le Télégramme que « les craintes que tout le monde exprime sont liées aux exploitations qui ont eu lieu au début du siècle précédent, à une époque où l’on ne parlait pas beaucoup d’écologie. » (04/04/2015). Il s’agit également de trouver des points de comparaison susceptibles de rassurer les populations locales : « une mine a aujourd’hui la taille d’un terrain de football avec une usine de traitement aménagée sous terre et l’impact visuel d’un supermarché », explique le directeur général de Variscan à Libération (29/03/2017).
Les dirigeants de Tungstène du Narbonnais reprennent une rhétorique similaire lorsqu’ils garantissent, dans un prospectus distribué en août 2019, qu’une exploitation de La Fabrié aurait l’emprise foncière « d’un hangar agricole ». Le propos lie également patriotisme économique et mieux-disant environnemental, puisqu’il s’agirait « de valoriser une ressource locale et de relocaliser, dans de meilleures conditions, une partie de la production de tungstène sur le territoire national et de réduire la dépendance de la France aux autres pays producteurs. » Alors que Variscan peine à répondre, à un stade aussi précoce de son projet, aux questions liées aux éventuelles techniques d’extraction envisagées, Tungstène du Narbonnais anticipe des procédés « modernes et respectueux de l’environnement à toutes les étapes ». Le prospecteur fait par ailleurs appel à une société de communication se présentant comme spécialisée dans l’« intégration territoriale des projets sensibles ». Au cours d’une réunion publique, qui se tient à Fontrieu le 30 septembre 2019, son représentant garantit que le minerai sera traité « sans utiliser de produits chimiques ».
La commune accueille une nouvelle réunion publique le 3 décembre de la même année. Un responsable de Tungstène du Narbonnais y garanti, à propos des sondages géologiques : « aujourd’hui les techniques de forage sont tellement avancées que je viendrai avec vous et je mangerai les produits chimiques que nous utilisons pour le forage ». Contrairement à Variscan, les entrepreneurs sud-africains évitent cependant de disqualifier systématiquement la critique. Au cours de la même rencontre, le communicant explique : « La question de l’eau est une des questions prioritaires, de préoccupations et d’inquiétudes des uns et des autres, à juste titre compte tenu des caractéristiques du territoire ». « Une étude fine » des potentiels impacts sur la ressource est promise aux habitants présents.
Celle-ci ne sera jamais menée. Mais les entrepreneurs miniers peinent surtout à incarner la « mine responsable » qu’ils promettent. Face à eux, beaucoup d’opposants doutent de toute manière « qu’on [puisse] faire de l’écologie capitaliste », pour reprendre les mots d’une militante bretonne interrogée au cours de l’enquête.
… ou décrédibiliser les opposants
L’impatience s’empare dès lors des prospecteurs, qui accusent leurs adversaires de s’attacher uniquement à la défense d’intérêts particuliers. Les oppositions sont également discréditées suivant trois des principaux procédés rhétoriques.
Le premier impute les résistances rencontrées à un défaut de pédagogie. Au cours d’un entretien mené le 22 juin 2020, le président de Variscan nous explique l’échec des PERM bretons par les difficultés à expliquer les projets aux populations locales, tout en menant de front les travaux de recherche prévus. Le second procédé consiste à pathologiser des opposants dont on souligne l’irrationalité : « On tuait les poules, les gens, enfin bon c’était incroyable », ironise l’entrepreneur minier lors de notre rencontre.
Enfin, les industriels refusent de penser leurs projets comme ancrés dans un modèle de société contingent. L’extension constante des activités extractives et la croissance économique constituent de leur point de vue des horizons indépassables. La critique anticapitaliste des industries minières est par conséquent renvoyée à une radicalité politique malvenue. Le directeur général de Variscan suppose dans les pages du Télégramme (04/04/2015), que les opposants bretons ne seraient qu’une « poignée de dogmatiques qui refusent le développement économique ». Lorsqu’on suggère au président de Variscan, au cours de l’entretien cité plus haut, que la critique écologiste relève du débat politique, celui-ci tranche : « Oui, donc, moi en tant qu’industriel je veux pas être pris dedans ». Interrogé de son côté en septembre 2019, le directeur général de Tungstène du Narbonnais redoute lui aussi l’émergence, dans le Tarn, d’une « opposition systémique qui refuse de dialoguer ».
Ce rejet du débat de fond, ainsi que l’absence d’espaces de discussion sur l’opportunité même du renouveau minier explique au moins partiellement les blocages rencontrés. En Bretagne surtout, les déclarations pour le moins maladroites tenues publiquement par certains responsables de Variscan ne pouvaient qu’alimenter une résistance à la prospection déjà bien ancrée.
Bloquer la prospection minière
Finalement peu soutenus par les pouvoirs publics, les prospecteurs se montrent également peu convaincants aux yeux d’opposants pointant la nature même des activités minières. Dans les Côtes-d’Armor, Variscan ne parvient pas à engager les travaux de recherche annoncés. C’est précisément ce qui rend fragiles ces sociétés reposant sur un modèle spéculatif : les fonds dont elles ont besoin sont levés sur des places boursières spécialisées, sur la base de promesses de découvertes permettant d’envisager une exploitation future. C’est finalement faute d’avancées sur le terrain que les investisseurs se détournent de Variscan. Dans le Tarn, c’est l’omission par Tungstène du Narbonnais d’un captage d’eau potable sur le secteur visé, ainsi qu’une opposition locale plus coriace qu’attendu, qui aura eu raison de la demande de PERM. Rappelons néanmoins que ces projets concernent un métal industriel, le tungstène. La demande croissante en métaux dits de « transition », comme le lithium ou le cuivre, permet désormais à l’industrie minière d’avancer une nouvelle justification : la décarbonation du secteur énergétique et des transports. Telle qu’elle se présente dans ces discours, la poursuite de la « croissance verte » conduirait ainsi à un approfondissement de notre dépendance à l’égard des mines. Et, avec elle, une amplification des dégâts propres à cette industrie.
Illustration d’Adèle Huguet pour Mondes Sociaux : licence CC BY-NC-ND
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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Damien Schrijen (30 septembre 2024). Le « renouveau minier » face à ses contradictions. Mondes Sociaux. Consulté le 6 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12dsn
