Existe-t-il une sexualité pour les personnes âgées ?
Dans l’ombre des tabous, la vie affective et intime des personnes âgées en institution dévoile des récits captivants. Ces histoires souvent passées sous silence révèlent des vérités trop longtemps méconnues.
Une équipe de recherche, composée par A. Lambelet, N. Brzak, M. Avramito et V. Hugentobler, a ainsi exploré la manière dont la sexualité est vécue et perçue par les personnes âgées ayant séjourné pendant une longue période dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) en Suisse. Fondés sur une étude qualitative, leurs recherches sont novatrices, car jusque-là peu d’études se sont réellement penchées sur la perception de ces personnes, sur leurs besoins et leurs envies.
-
Lambelet A., Brzak N., Avramito M., Hugentobler V., 2019, « Vie sexuelle des personnes âgées en institution : ce qu’elles en disent », Gérontologie et société, n°160, vol.41, p. 155-168.
Khodia Mbaye est étudiante dans le réseau pour l’interdisciplinarité des sciences sociales en master : khodia.mbaye@etu.univ-tlse2.fr
Vies affectives et sexuelles des personnes âgées en institution
La sexualité des personnes âgées, en particulier celles en institution, est peu documentée, la plupart des études se concentrant sur les impacts négatifs des maladies liées à l’âge. La recherche présentée ici examine la vie intime des personnes âgées, en particulier celles vivant en institution de long séjour, explorant leurs attentes et expériences. Les enquêtes existantes excluaient souvent jusque-là les individus au-delà de 69 ans, ce qui a créé l’illusion d’une absence de sexualité pour les personnes dépassant cet âge. L’étude se concentre sur la manière dont les personnes âgées en institution parlent de leur vie affective et sexuelle, remettant en question les stéréotypes de l’asexualité liés à la vieillesse. Elle examine également l’impact des institutions sur l’expression de la sexualité, explorant les possibles entraves et opportunités offertes par ces milieux. En utilisant une approche inductive, les chercheurs visent à mieux comprendre les représentations et les attentes des personnes âgées en matière de vie affective et sexuelle. L’analyse inclut une comparaison entre les expériences des résidents en institution et celles fréquentant des centres d’accueil temporaire, mettant en lumière l’impact potentiel de l’institution sur l’expression de la vie affective et sexuelle.
L’étude est centrée sur les témoignages de personnes âgées en perte d’autonomie : 29 participants, dont 15 résidents des Établissements médico-sociaux EMS et 14 usagers des Centres d’Accueil Temporaire CAT dans le canton de Vaud, en Suisse. Nés entre 1914 et 1955, ils partagent des caractéristiques socio-économiques similaires et proviennent majoritairement de milieux ruraux.
Sexualité et Conjugalité
Parler de sexualité revient souvent à évoquer la conjugalité pour la plupart des personnes âgées. Cette conjugalité est généralement liée à leur amour de jeunesse, débutant souvent entre l’âge de 16 et 20 ans et perdurant jusqu’au décès de l’un des conjoints. La perte du conjoint constitue une rupture profonde, amenant parfois certaines personnes âgées à rester seules par fidélité envers leur ex-partenaire. Bien que certaines aient connu le divorce, le remariage, le veuvage ou soient restées célibataires toute leur vie, la notion d’un partenaire de vie prévaut largement dans cette étude.
L’évocation de la vie sexuelle conduit la plupart des interviewés à se replonger naturellement dans leur vie passée, établissant ainsi une connexion spontanée entre la vie sexuelle et la conjugalité. Le couple est donc au centre de l’étude, avec ses diverses façons d’être vécu et compris. Certains ont connu un véritable amour, tandis que d’autres regrettent de ne pas avoir trouvé cet amour dans leur relation.
Cependant, décrire la relation et le conjoint génère des difficultés à s’exprimer oralement et à caractériser la relation. Les interviewés utilisent souvent des termes généraux tels que « gentil », « honnête », et « poli » pour décrire leur conjoint ou partenaire, comme l’illustre l’extrait d’entretien deSuzanne (83 ans, mariée, EMS) : « Il est gentil. J’ai un très gentil mari, […] il aime bien mes petits-enfants. Pour moi, c’est l’essentiel. »
La question essentielle soulevée par les auteurs est de savoir si cette caractérisation générale du conjoint est liée à une forme de pudeur, à la préservation de l’intimité ou à la difficulté de partager son histoire personnelle. Également, ils explorent l’idée que cela pourrait toucher au cœur de ce qui importe le plus pour la personne, à sa manière d’exprimer son identité et d’interagir avec le monde et son partenaire. En d’autres termes, cette interrogation met en lumière l’importance de ce qui compte réellement pour la personne, de sa manière d’exprimer son identité et de son mode d’interaction avec le monde et le partenaire. Selon Suzanne, l’essentiel ne réside-t-il pas dans l’amour que son conjoint porte à sa famille, notamment à ses petits-enfants, plutôt que dans « l’intimité » au sens de la séduction de son mari ?
Après l’exploration de cette description du conjoint chez les personnes âgées, il est crucial de s’intéresser à la vie sexuelle physique afin d’approfondir la relation entre la perception du conjoint et l’évolution des désirs intimes chez les personnes âgées.
Sexualité et désirs
Selon les auteurs, la vie sexuelle physique se produit rarement chez la plupart des personnes âgées, qu’elles soient en couple ou non. C’est le casde René, 91 ans, marié, CAT, qui affirme que ses désirs sexuels ont connu une régression considérable avec la vieillesse car : « [Il n’a] plus les capacités physiques […] plus les désirs comme auparavant. »Haut du formulaire
Les raisons de cette absence de sexualité sont multiples, notamment les effets de l’âge, comme le démontrent diverses études sur la prévalence déclinante de l’activité sexuelle avec l’âge. Les auteurs soulignent également l’importance d’avoir un partenaire à travers différentes études pour maintenir une sexualité active. Cependant, même parmi ceux qui ont des partenaires, la fréquence des activités sexuelles diminue. Pour Régis Schlagdenhaufen, la longévité des couples est en effet associée à une diminution de l’activité sexuelle. Certains choisissent aussi la solitude par loyauté envers un conjoint décédé, mettant en lumière la rareté des nouvelles relations amoureuses parmi les personnes âgées interviewées.
Les auteurs mettent en évidence que les CAT et les EMS peuvent toutefois être des espaces de rencontres, de complicité, voire même de séduction pour certains individus. Ainsi, Madeleine (89 ans, veuve, résidente en EMS), qui a tout au long de sa vie cultivé des rapports de séduction avec les hommes, partage : « Il y en a un surtout, déjà quand je le vois de loin, ça bouillonne. Quand je passe tout près, ça bouillonne. Je fais semblant de rien, mais ça bouillonne. À mon âge, vous vous rendez compte ! Et c’est agréable ? Oh que oui, ça fait plaisir. ». Malgré l’absence d’une activité sexuelle physique, certaines personnes âgées continuent donc de manifester des besoins affectifs et sociaux.
Ces résultats s’expliquent par divers éléments, notamment les parcours de vie individuels, la période écoulée entre le décès du conjoint et les entretiens, et les effets du vieillissement. L’inégale répartition des sexes dans les EMS contribue également aux difficultés pour trouver un partenaire, accentuant ainsi l’absence de vie sexuelle pour la plupart des personnes âgées. La compréhension des influences liées à la génération, à l’âge et aux processus de socialisation rend complexe l’analyse des discours sur la sexualité des personnes âgées en institution. Globalement, les échanges évoquent davantage un passé révolu et oublié, avec une rupture due à la santé déclinante et la perte du conjoint, mais aussi une continuité dans les loyautés et les normes perçues comme appropriées à leur âge. La fidélité à l’ancien partenaire et la longévité du couple sont autant de facteurs qui contribuent à expliquer l’absence de sexualité pour la plupart des personnes âgées enquêtées.
Sexualité et Institution
L’objectif des entretiens dans le cadre de cette étude était de déterminer si la socialisation institutionnelle, liée à l’entrée dans ces établissements, avait un impact sur la vie affective et sexuelle des individus. Cependant, les résultats des entretiens indiquent que cet impact n’est pas observable dans la réalité, notamment dans les domaines de la vie affective et sexuelle, des personnes interrogées dans les établissements.
En effet, les récits tirés de leurs entretiens remettent en question l’une des hypothèses initiales des chercheurs, à savoir que les institutions destinées aux personnes âgées limiteraient l’expression complète ou le plein respect des dimensions sexuelles et affectives des résidents. Pour beaucoup d’entre eux, la vie affective est principalement liée au souvenir du conjoint décédé et à l’importance des liens familiaux (enfants et petits-enfants), et elle ne requiert pas d’interventions spécifiques de la part des individus ou de l’institution. Étant donné que la sexualité est principalement associée à la vie conjugale, et compte tenu du faible nombre de personnes déclarant encore avoir des relations sexuelles, cet aspect de leur vie ne pose pas de problème au sein de l’institution. Dans les cas où les résidents ont un partenaire, les routines institutionnelles semblent plutôt encadrer les possibilités que les restreindre. Les résidents des EMS s’adaptent à ce nouveau cadre, faisant preuve d’initiative. Comme le vit Suzanne, 83 ans, en couple avec son deuxième mari et entrés ensemble en EMS. Selon elle, « on [son mari et elle] peut avoir une vie intime quand ils [femmes de ménage et/ou autres agents de l’institution] sont loin […] à 19 h 30 […] »
Dans une perspective similaire, Colette, âgée de 95 ans et veuve, se distingue en tant que seule personne interviewée résidant en EMS à déclarer entretenir des relations sexuelles avec son compagnon qui vit à domicile. Toutefois, elle et son conjoint s’organisent avec tact pour pouvoir avoir des moments de tendresse au sein de l’EMS. Ainsi, ils font preuve de créativité en raison de leur préoccupation concernant les rumeurs des professionnels de ménages.
Parallèlement, il existe une dualité dans la perception des professionnels par les résidents et clients. D’un côté, ces professionnels peuvent être perçus comme des individus qu’il faut regarder avec méfiance. D’un autre côté, ils peuvent également être l’objet de désirs romantiques de la part des résidents et des clients. Plus précisément, deux des trois personnes qui ont exprimé avoir des sentiments amoureux les ressentent envers des professionnels… Cependant, parmi nos interviewés, une seule personne, Thérèse âgée de 82 ans et divorcée, relate que son entrée en EMS constitue un obstacle à la continuation de sa vie affective et sexuelle. Elle est en couple depuis 8 ans et ne vit pas avec son partenaire. Le fait qu’elle ait été récemment placée en EMS perturbe son équilibre dans son couple.Cependant, parmi nos interviewés, une seule personne, Thérèse âgée de 82 ans et divorcée, relate que son entrée en EMS constitue un obstacle à la continuation de sa vie affective et sexuelle. Elle est en couple depuis 8 ans et ne vit pas avec son partenaire. Le fait qu’elle ait été récemment placée en EMS perturbe son équilibre dans son couple.Cependant, parmi nos interviewés, une seule personne, Thérèse âgée de 82 ans et divorcée, relate que son entrée en EMS constitue un obstacle à la continuation de sa vie affective et sexuelle. Elle est en couple depuis 8 ans et ne vit pas avec son partenaire. Le fait qu’elle ait été récemment placée en EMS perturbe son équilibre dans son couple.Haut du formulaire Cependant, parmi les interviewés, une seule personne, Thérèse, âgée de 82 ans et divorcée, relate que son entrée en EMS constitue un obstacle à la continuation de sa vie affective et sexuelle. Elle est en couple depuis 8 ans et ne vit pas avec son partenaire. Le fait qu’elle ait été récemment placée en EMS perturbe son équilibre dans son couple.
D’après ces entretiens, ce qui ressort principalement dans la discussion sur ces institutions et ce qui différencie les CAT des EMS, c’est la manière dont les relations sociales se manifestent dans ces deux contextes. Les CAT semblent être des espaces privilégiés pour la sociabilité, tandis que les EMS donnent d’abord l’impression d’être des endroits où les interactions sont limitées.
Conclusion
En synthèse, l’étude met en lumière l’homogénéité des parcours de vie, marqués par des mariages précoces et une fidélité persistante même après le veuvage. Le retour à une vie sexuelle après la perte du conjoint est rare, illustré par des expressions telles que « c’est du passé » ou « j’ai tourné la page ». Dans la grande vieillesse, la sexualité en tant que rapport sexuel semble être en retrait, les préoccupations se déplaçant vers d’autres priorités comme le regret de quitter le domicile, le désir de partager des activités en couple et les interactions avec le personnel soignant. Contrairement à l’hypothèse initiale, l’absence de relations sexuelles semble davantage associée à des facteurs liés à l’âge, au veuvage, à des problèmes de santé et à la génération, plutôt qu’à un effet institutionnel de répression sexuelle.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Khodia Mbaye (14 octobre 2024). Existe-t-il une sexualité pour les personnes âgées ? Mondes Sociaux. Consulté le 9 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12hjz