Aborder ces questions en Préhistoire est chose complexe car les données archéologiques qui nous parviennent sont très lacunaires : silex taillés, ossements d’animaux consommés, traces fugaces d’habitat, sépultures, etc. Mais il est un caractère du genre qui permet d’approcher, partiellement et avec prudence, les différences entre les hommes et les femmes préhistoriques : le genre est en effet une construction culturelle qui a une existence matérielle. Pour être opérant, il doit être visible et se matérialiser dans les vêtements, les postures corporelles, les rôles sociaux, ou encore dans l’espace, les objets et les outils, les tâches et activités. De nos jours, on peut encore constater qu’il existe des vêtements d’hommes et de femmes, que certains métiers sont plus volontiers occupés par l’un des sexes, qu’il existe des espaces et des activités réservés, etc. Aussi, l’archéologie, étant la discipline qui étudie les traces matérielles laissées par les humains du passé, peut en théorie explorer ce champ. C’est principalement à partir de l’étude des sépultures et des squelettes, des objets déposés auprès des morts (outils, armes, poteries, colorants, etc.), des restes de leurs costumes (attaches, parures, bijoux), des ossements humains (maladies osseuses, déformations osseuses résultant de gestes et d’activités, analyses chimiques qui renseignent sur l’alimentation, etc.), que l’on parvient à mettre en évidence des différences de traitement entre divers groupes d’individus : hommes et femmes bien sûr, mais aussi enfants, vieillards, élites, gens du commun, etc. La somme et le croisement de l’ensemble de ces informations permet de formuler des hypothèses sur les rapports de genre dans le passé.

Une petite poignée d’hommes se distingue selon les objets qui les accompagnent dans la mort, objets que l’on ne retrouve ni dans les sépultures féminines ni dans la majorité des tombes masculines. Il s’agit surtout d’herminettes en pierre polie, mais aussi de pointes de flèche en silex, d’andouillers en bois de cerf et de briquets à percussion qui se caractérisent par l’association d’un fragment de pyrite et d’un éclat de silex qui, percutés, provoquent des étincelles permettant d’enflammer de l’amadou par exemple. Certains d’entre eux cumulent jusqu’à 12 objets de ce type. Ces « hommes à herminette » se démarquent aussi par une origine exclusivement locale ; autrement dit, ils sont morts là où ils sont nés alors que les femmes et les autres hommes peuvent avoir des origines plus variées. D’après l’étude des micro-traces laissées sur les outils lors de leur utilisation, les herminettes des hommes ont servi pour le travail du bois et dans des activités de boucherie. Elles sont également impliquées dans des épisodes de violence interpersonnelle, comme en témoignent les blessures que portent les crânes des individus jetés dans les fosses de massacre. D’autres témoignages de conflits armés existent : quelques hommes ont été enterrés à la suite de blessures par flèche.

Au Néolithique Rubané, plusieurs catégories d’individus se différencient donc selon leur mobilier funéraire (armes, outils, parures), leurs activités, leur alimentation, leurs origines. En premier lieu, hommes et femmes n’ont pas les mêmes activités, du moins pour celles que l’on connaît : les hommes réalisent des tâches comme la chasse, le combat, le travail du bois, la boucherie ; les femmes semblent plutôt investies dans les travaux liés à la transformation de matériaux végétaux ou issus de sous-produits animaux comme les peaux et les cuirs. Cette division sexuée du travail est conforme à celle constatée dans une majorité de sociétés traditionnelles. Certains biens de prestige, comme les herminettes et certaines parures en spondyle, distinguent des groupes sociaux qui, chez les hommes, pourraient être ceux d’individus dominants. Il est plus difficile de faire ressortir un tel groupe chez les femmes, celles en grand apparat se différenciant peu des autres. Les unes et les autres peuvent être d’origine locale ou non locale, et leur alimentation, globalement plus riche en nutriments d’origine végétale que celle des hommes, est également assez peu différenciée. On note cependant que les femmes dont la tombe est proche de celles d’hommes à herminettes ont consommé presqu’autant de viande ou de lait que ces derniers, ce qui interroge sur le type de relation que ces deux groupes ont pu entretenir. Quant aux hommes sans herminettes, certains sont néanmoins dotés de flèche et ces hommes en armes ont pu jouer un rôle qui reste à déterminer dans cette société néolithique. Les enfants, à partir des objets qui leur sont associés et qui sont souvent semblables à ceux des adultes, peuvent également témoigner des modalités de l’assignation de genre par l’éducation. Il reste encore beaucoup à apprendre pour cerner la diversité des rapports sociaux de sexe au Néolithique.