Vidéo et performance collective en sport
L’amélioration de la performance est au cœur des préoccupations des entraîneurs sportifs. Si la technologie vidéo est omniprésente dans le sport de haut niveau, elle pénètre également aujourd’hui largement le monde amateur. Cette tendance bouleverse les pratiques usuelles et engendre une redéfinition des compétences des entraîneurs. Mais comment la vidéo peut-elle aider les entraîneurs à améliorer la performance collective de leurs joueurs ?
Une grande variété d’outils sont disponibles, et une multitude d’usages de la vidéo peuvent être envisagés : analyser un match a posteriori, montrer des extraits en direct à l’entraînement, etc. Se pose alors la question de la formation des entraîneurs, mais également des conditions d’appropriation de ces outils par les joueurs. Le travail ici présenté permet d’analyser des usages spécifiques pour des entraîneurs de football cherchant à favoriser l’apprentissage d’actions collectives par leurs joueurs.
- Isserte, S., 2022, Étude d’un dispositif de formation d’entraîneurs à des usages de technologies numériques au service de l’apprentissage d’actions collectives par les joueurs. Thèse de doctorat. Université Toulouse Jean Jaurès.
Thèse soutenue au sein du Laboratoire « Education, Formation, Travail, Savoirs » (UMR-MA122) à l’Université Toulouse Jean Jaurès
Simon Isserte est membre du Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique, Education et Formation (UR3749) à l’Université de Montpellier : simon.isserte@umontpellier.fr
La vidéo pour répondre à la complexité des actions collectives
Au sein des sports collectifs mais également dans les sports individuels qui se pratiquent en équipe, comme par exemple les épreuves de relais en athlétisme, la coordination des actions entre les athlètes est source de complexité. Une attention croissante envers cette question est d’ailleurs repérée dans la littérature en sciences du sport depuis les années 2000. D’un point de vue francophone, de nombreux travaux tels que ceux de Jacques Saury (2008) ont contribué au développement de l’analyse de la coopération en contexte sportif. Toutefois, peu d’études visent à définir et caractériser précisément ce qu’est théoriquement une action collective.
Ce travail de thèse a envisagé l’action collective comme une structure complexe constituée de plusieurs Unités d’Action Collective – UAC. Par exemple, l’action « récupérer le ballon lors d’une attaque placée adverse » peut être délimitée via quatre UAC : « défendre l’axe ballon-but », « orienter le jeu sur les côtés », « obliger l’adversaire à jouer vers l’avant », et « intervenir ». Le résultat attendu de chacune d’entre elles peut être matérialisé sous la forme d’une configuration collective. Elle représente de façon géométrique le placement des joueurs les uns par rapport aux autres, en référence au concept de configuration de jeu exploité dans le cadre de l’analyse du football notamment.
Afin de faciliter l’apprentissage de telles actions collectives par les joueurs, différents usages de la vidéo ont été proposés dans le cadre de cette recherche :
- enseigner une action collective à l’aide d’une animation vidéo 3D ;
- accompagner son apprentissage à l’entraînement à l’aide d’une vidéo en léger-différé ;
- l’évaluer à l’aide de l’enregistrement vidéo d’un match.
Un dispositif original de formation des entraîneurs
À partir d’un programme de recherche en anthropologie culturaliste, un dispositif de formation a été conjointement élaboré par des chercheurs et des formateurs. Il a concerné des entraîneurs salariés par leur club, en poste auprès d’équipes de jeunes footballeurs de niveau régional. Il entre en écho avec les recommandations de chercheurs en sciences de l’éducation et de la formation au regard de la nécessité de se rapprocher du travail lors de la formation. En ce sens, deux modalités ont principalement été retenues : la vidéo-formation et la simulation. Ainsi, lors de temps collectifs, un formateur a enseigné aux entraîneurs les usages attendus d’eux en s’appuyant sur des illustrations au format vidéo. Puis, un tuteur a permis à chacun des entraîneurs de simuler ces usages, dans leurs clubs respectifs. Il les a engagés dans des scenarios reproduisant la réalité, puis les a invités à analyser leur propre activité lors d’un débriefing. Suite à cette formation, les activités réalisées en situation réelle d’entraînement ont été analysées à partir des enregistrements audio-vidéo mais également des entretiens menés auprès des entraîneurs et des joueurs.
Les apports de la vidéo pour les entraîneurs et les joueurs
Les usages de la vidéo facilitent les activités réalisées par les entraîneurs. Toute d’abord, la structure temporelle de l’animation vidéo 3D les aide à se repérer face à la complexité de l’action collective enseignée. Par exemple, elle permet de décrire précisément les déplacements attendus pour chaque joueur afin de parvenir à « défendre l’axe ballon-but ». De plus, son visionnage est enrichi car ils peuvent montrer précisément aux joueurs certains éléments de l’action collective : la vitesse de déplacement, l’orientation des joueurs, la position du ballon, etc. Les entraîneurs pointent plus spécifiquement la complémentarité entre les outils utilisés, comme le point de vue identique sur la vidéo en léger-différé et l’animation vidéo 3D. Cette vue aérienne en plongée leur permet de faire identifier aux joueurs les éléments à améliorer dans l’action collective réalisée, comme par exemple la coordination des déplacements. Les joueurs disposent quant à eux de davantage de temps d’analyse pour apprécier finement leurs performances. Ainsi, la vidéo en léger-différé permet de vérifier si la configuration collective attendue a été correctement réalisée. Ils insistent toutefois sur l’importance de l’accompagnement de l’entraîneur qui guide, questionne et explique tout en prêtant attention à s’adresser avec concision à l’ensemble des joueurs.
Une nécessaire adaptation au contexte
Malgré les usages de la vidéo construits en formation, les entraîneurs s’autorisent parfois une certaine latitude dans leur exploitation. Par exemple, les fonctionnalités de l’animation vidéo 3D offrent des possibilités d’adaptation. Ils utilisent la fonction play/pause pour ajuster la durée du visionnage au regard des capacités d’attention des joueurs, et peuvent également montrer plusieurs fois certains extraits qui posent particulièrement problème aux joueurs concernés. Ainsi, les entraîneurs parviennent à contextualiser ces usages, à les rendre compatibles avec leur environnement professionnel. Finalement, leur appréhension fine du contexte d’intervention est un élément clé pour mettre à leur disposition ces outils et ainsi les utiliser efficacement au service de l’amélioration de la performance collective. Mais alors, si le caractère situé des usages que les entraîneurs font de la vidéo est ici mis en évidence, quelles conditions de formation doit-on privilégier afin de les former efficacement ?
Comment former efficacement les professionnels de demain ?
Confrontés à la difficulté de favoriser la construction d’actions collectives chez leurs joueurs, la tentation est grande pour les entraîneurs de football de recourir à la vidéo. Toutefois, les résultats de ce travail nous invitent à questionner la manière dont la formation des entraîneurs peut être pensée pour répondre à ces évolutions. Premièrement, cette dernière ne peut faire fi de la nécessité de se rapprocher des conditions et des contraintes effectives du métier. Les expériences vécues par les entraîneurs en formation doivent présenter un « air de famille » avec celles qui se présenteront probablement lors de la situation de travail. Pour cela, la vidéo-formation et la simulation permettent de créer de la continuité dans les expériences vécues par les entraîneurs, à travers une progressivité dans les situations proposées. Deuxièmement, cette ambition ne peut être atteinte qu’en mettant en œuvre une véritable collaboration entre formateurs et tuteurs. En effet, l’accompagnement proposé doit permettre d’éviter toute rupture dans le parcours du formé, autrement dit de créer une forme de continuité entre les expériences vécues en centre de formation et celles vécues dans leurs clubs. Des attentes communes et un vocabulaire partagé entre formateurs et tuteurs semblent ainsi nécessaires. Autant de pistes à poursuivre pour former les entraîneurs de demain, mais également faire évoluer les usages des technologies numériques dans de nombreux métiers.
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Chaliès S., Bertone,S., 2021, « Faire de la recherche fondamentale de terrain ou la nécessité d’instituer une relation de consubstantialité entre visées scientifiques et technologiques », Revue française de pédagogie, n°210, 1.
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Durand M., 2008, « Un programme de recherche technologique en formation des adultes : Une approche énactive de l’activité humaine et l’accompagnement de son apprentissage/ développement », Éducation et didactique, n°3, 2.
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Saury J., 2008, La coopération dans les situations d’intervention, de performance et d’apprentissage en contexte sportif. Note de synthèse pour l’Habilitation à Diriger des Recherches non publiée. Université de Nantes.
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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Simon Isserte (2 décembre 2024). Vidéo et performance collective en sport. Mondes Sociaux. Consulté le 22 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12t2y
