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Contester Parcoursup. Figures de l’usager contestataire.

La mise en œuvre de Parcoursup à partir de 2018 s’est accompagnée de la reconnaissance d’un droit au recours pour le candidat souhaitant contester les résultats de ses candidatures sur la plateforme.

Avec l’institutionnalisation de ce droit, on assiste à un glissement du rôle de l’étudiant qui passe d’administré passif à celui d’usager, désormais doté de droits, de devoirs mais aussi de responsabilités. Le recours permet également de contourner une plateforme algorithmique dont le traitement est jugé injuste et inhumain. Mais qui se saisit de ce droit et avec quels effets sur la politisation de l’accès dans le supérieur ?

La réforme des modes d’accès au diplôme depuis dix ans souligne le changement de nature de l’enseignement supérieur qui relève non plus d’un service public d’éducation mais d’un service délivrant un bien dans lequel les familles sont invitées à investir. Ces éléments ont contribué à modifier les relations entre usagers et institutions universitaires, dans un contexte de dématérialisation de l’accès dans le supérieur à partir de la fin des années 2000. L’institutionnalisation d’un droit au recours contre les résultats des plateformes incarne ces modifications. L’usager s’impose ainsi comme le régulateur des pratiques d’admissions. De ce fait, il affecte la gouvernance des universités, ce qui constitue une rupture dans la dissymétrie traditionnelle entre enseignants et étudiants à l’Université (à l’image du rapport entre médecins et patients), y compris après 1968. Mais comment les étudiants s’emparent-ils de ce droit et dans quelles conditions ? À partir d’une enquête au long cours sur les effets des réformes de l’accès dans l’enseignement supérieur sur les candidats et leurs familles, l’article présente trois figures idéal-typiques de contestation des usagers contre un jugement scolaire.


  • Allouch A.,Espagno-Abadie D.,  2024, Contester Parcoursup, Paris : Presses de Sciences Po

    Annabelle Allouch est maîtresse de conférences de sociologie, membre du CURAPP -ESS, université de Picardie Jules Verne : annabelle.allouch@u-picardie.fr

    Delphine Espagno-Abadie est maîtresse de conférence en droit public membre du LASSP, Sciences Po Toulouse : delphine.espagno@sciencespo-toulouse.fr


Le recours gracieux : l’arme des faibles.

Le premier type de recours possible dont peut s’emparer l’usager contre un jugement scolaire repose sur l’écriture d’un simple courrier ou email à l’adresse du responsable de la formation souhaitée, ou à celle du directeur d’établissement. Le recours grâcieux est très répandu, notamment parce qu’il est préalable au recours contentieux, mais également parce qu’il constitue de longue date l’un des répertoires d’action des syndicats étudiants comme l’UNEF. La lecture des guides de l’étudiant produits par le syndicat depuis les années 1980 souligne ainsi l’ancienneté de ce mode de contestation, bien avant Parcoursup. La standardisation de ce recours par son institutionnalisation par la loi Orientation et Réussite des Étudiants (ORE) en 2017 a néanmoins affecté les caractéristiques sociales et scolaires de l’usager le mobilisant, incarnées par la figure d’un « usager faible », c’est-à-dire un étudiant qui bénéficie d’une connaissance correcte de l’institution scolaire et de savoir-faire de recherche d’interlocuteurs, sans toutefois pouvoir s’appuyer ni sur un capital social qui lui permettrait de s’engager dans un recours plus sûr (par exemple en sollicitant une demande de médiation), ni sur un capital économique qui lui permettrait d’appuyer sa demande par la présence d’un avocat. Cet usage faible (peu d’investissement nécessaire à part la rédaction d’un courrier) explique sa large diffusion et son caractère moins socialement stratifié.

Toutefois, le recours gracieux est aussi le plus difficile à quantifier, faute d’un véritable travail de comptage systématique de la part de tous les établissements, à l’exception de ceux qui ont mis en œuvre, depuis les années 2020 des plateformes numériques de recours. Dans les autres formations, la quantification apparaît essentiellement déclarative, selon le sentiment et le calcul des responsables.

Sans surprise, les entretiens menés soulignent que ce type de recours concerne d’abord les filières en tension (médecine, psychologie, STAPS, droit), et l’accès en licence plutôt qu’en master. Dans ce cas, le nombre de recours peut osciller par an de 200 à 500 demandes par filière. On retrouve aussi un grand nombre de recours dans les filières très sélectives comme certaines classes préparatoires parisiennes et/ou qui bénéficient d’une visibilité dans l’espace public comme les instituts d’études politiques. Ces derniers ont d’ailleurs mis en œuvre des modes de régulation standardisées d’explication aux candidats non admis, par la création d’une hotline téléphonique et par la rédaction de rapports publics par les membres du jury. De ce point de vue, la standardisation du traitement des recours gracieux illustre un mouvement de protection de la part de la profession universitaire qui explique peut-être en partie les chiffres importants mobilisés en entretien et, plus globalement, leur sentiment d’être submergés par les demandes.

Au-delà, l’analyse du contenu des recours met en avant deux éléments centraux pour comprendre les effets de Parcoursup sur les familles : tout d’abord, la capacité des étudiants à se mettre en avant selon des normes méritocratiques, c’est-à-dire en fonction de leurs résultats passés ou encore de comportements de docilité scolaire jugés sous-estimés sur la plateforme ; ensuite, une mise en scène de sa plainte qui personnalise volontiers la relation avec l’enseignant-chercheur, parfois en mettant en scène des émotions « pathétiques » , qui devient dès lors un véritable guichet du monde universitaire. De ce point de vue, le recours gracieux incarne la tentative de l’usager de contourner un dispositif numérique jugé injuste car inhumain.

Le recours contentieux : l’indispensable capital procédural

La contestation du jugement scolaire peut également prendre la forme d’un recours contentieux. L’usager, au bout d’un processus « amiable de négociation », se tourne vers le juge administratif. Le contentieux des admissions universitaires représente « 29% des affaires en instance en 2023 », pour le deuxième cycle il est en hausse constante et représente, selon le ministère, « 61,9 % du total des contentieux des admissions », celui de l’accès en premier cycle (LIJ Hors-série, octobre 2024).  Pour aller au contentieux contre son université, il faut être en mesure de produire un discours audible par le juge administratif. L’usager requérant doit disposer des capacités suffisantes pour remettre en cause, dans le cadre du procès administratif, le jugement scolaire. Dans l’enquête que nous avons menée, l’usager requérant est celui qui est doté d’un capital procédural venant s’agréger à un capital social et financier suffisant. L’enquête a démontré que, majoritairement, l’usager requérant est issu de familles de classes supérieures et moyennes qui se lancent dans le recours grâcieux ou contentieux pour faire valoir leur investissement dans la sphère scolaire et le mérite académique de leur enfant. Il s’agit de faire valoir un droit à accéder à la filière de son choix en L1 ou en M1 devant le juge. Pour passer de la négociation amiable au procès administratif, il faut connaître le fonctionnement de l’institution, comprendre le droit universitaire et trouver un avocat spécialiste de droit public. L’avocat, recommandé par des proches de la famille ou par les associations étudiantes ou de parents d’élèves, ou encore remarqué sur les réseaux sociaux, transforme le sentiment d’injustice en une question de droit. En urgence (référé suspension, le plus souvent), l’avocat demande au tribunal administratif de reconnaître qu’il y a « un doute sérieux quant à légalité de la décision » et qu’il y a urgence à se prononcer. L’urgence est argumentée par l’avocat autour de la question des délais d’inscription à l’université ; l’illégalité de la décision découle la plupart du temps du non-respect des procédures prescrites par le Code de l’éducation. Jamais l’avocat n’argumente sur la question de l’appréciation du mérite scolaire du candidat, le juge administratif refusant d’examiner ce moyen en arguant du principe de souveraineté des jurys. Il revient à l’avocat de gérer l’émotion pour l’orienter vers des arguments rationnels et juridiques susceptibles d’être retenus par le juge administratif. Les usagers requérants gagnants sont rares. Scrupuleux sur le respect du Code de l’éducation, le juge administratif n’accepte de donner droit à la demande que dans la mesure où l’institution universitaire a failli.

Des usagers en cours de politisation, les étudiants en santé

La possibilité d’un recours contre les jugements des plateformes a également eu un effet imprévu sur les modes de contestation des usagers : elle les a parfois politisés, notamment dans le cas des usagers les plus dotés, capables de mobiliser plusieurs répertoires d’action en parallèle. C’est en particulier le cas des étudiants en santé. La réforme de l’accès en études de santé en 2019 (Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019) a modifié de manière significative les modes de sélection à l’issue de la première année commune aux études de santé (PACES) en la transformant en une année de parcours d’accès spécifique santé (PASS) ou de licence accès santé (LAS) et en remplaçant le numerus clausus par un numérus apertus. L’application non uniforme sur le territoire de ces nouvelles mesures législatives et règlementaires a donné lieu à une mobilisation sans précédent des étudiants de santé et de leurs familles. Vent debout contre les inégalités entre universités, les parents des usagers ont alors constitué des Collectifs régionaux et un collectif national pour obtenir des autorités gouvernantes qu’elles abrogent cette réforme. Le Conseil d’État leur a donné partiellement raison le 29 décembre 2023 en demandant aux ministères de la santé et l’enseignement supérieur de les réécrire dans un délai de six mois.

Des recours tous azimuts : Se mobiliser pour éviter le déclassement

Cette mobilisation a donné lieu à l’usage par ces publics de tous les recours disponibles. Les étudiants refusés en deuxième année d’études de PASS ont d’une part contesté leur échec individuellement dans le cadre de recours grâcieux, souvent infructueux, et de recours contentieux en urgence devant le juge administratif. D’autre part, leurs parents, ont mobilisé les réseaux sociaux et médiatiques et même parfois politiques pour contester collectivement la réforme. Lors des entretiens avec des parents mobilisés, l’impossibilité pour leurs enfants de se mobiliser est mise en avant pour justifier leur engagement. Il leur est apparu naturel de se mobiliser pour eux, afin de les défendre contre une réforme jugée injuste aux effets délétères. Lors des entretiens menés auprès d’étudiants en santé et de membres de collectifs PASS/LAS, collectifs d’usagers mobilisés au niveau local comme national, nous avons constaté que les enquêtés n’étaient pas des habitués de la mobilisation, ni des citoyens particulièrement politisés.

Ces collectifs, très actifs via les réseaux sociaux, avaient pour objectif de lutter contre une réforme jugée inadaptée au profil des étudiants et en inadéquation avec les besoins de santé du pays. Elle révèle un rapport au rôle de l’État et un nouvel engagement sur les questions de santé publique. Très affectés par les effets de cette réforme, les parents l’ont vécu comme une atteinte à leur position sociale. Un fort sentiment d’injustice doublé d’un sentiment de déclassement pousse les familles à se mobiliser contre un État qui, selon eux, crée une injustice procédurale à l’égard de ceux qui n’ont pas démérité scolairement, sans, toutefois, remettre en cause le principe de la sélection.

Pour la majorité des membres des collectifs enquêtés, l’échec de leur enfant va constituer une raison de s’engager, de se politiser et de manifester pour lutter non seulement contre cette réforme injuste, selon eux, mais aussi pour montrer la défiance à l’égard des institutions tant universitaires que politiques. Considérant que le manque de médecins en France devrait au contraire conduire à un recrutement plus juste des étudiants en deuxième année de médecine nous précise un enquêté, plutôt que « faire venir des médecins étrangers ». Plus généralement, le sentiment qui domine parmi les mobilisés contre cette réforme est celui du déclassement de familles qui ont investi la question scolaire comme un moyen de maintenir une position sociale.

Il s’agit donc là d’une véritable mobilisation conservatrice caractérisée par le fait que la défense de la cause est liée à la volonté de maintenir des enjeux symboliques associés à la famille des enquêtés. Le droit et la revendication de droits s’imposent alors comme des outils « comme les autres » du maintien d’une domination sociale.

Les différents usages des recours soulignent que ces derniers sont socialement situés, dans la mesure où ils nécessitent différents types de ressources économiques, sociales et en termes de connaissance de l’institution universitaire mais aussi judiciaire. Malgré cet aspect segmenté, l’institutionnalisation d’un droit au recours ouvre la voie à des formes inédites de politisation de ces publics, incarnées par la mobilisation des parents des collectifs PASS/LAS.


Illustration d’Adèle Huguet pour Mondes Sociaux : licence CC BY-NC-ND
Pour découvrir ses dessins, https://adelehuguet.wordpress.com/
Crédits images :

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Annabelle Allouch & Delphine Espagno-Abadie (13 janvier 2025). Contester Parcoursup. Figures de l’usager contestataire. Mondes Sociaux. Consulté le 12 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/132gs


Annabelle Allouch & Delphine Espagno-Abadie

Annabelle Allouch est membre du CURAPP -ESS, université de Picardie Jules Verne / Delphine Espagno-Abadie est membre du LASSP, Sciences Po Toulouse

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