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D’APB à Parcoursup. Un outil au service du développement d’universités « d’excellence » ?

En 2018, le remplacement de la plateforme Admission Post-Bac (APB), d’affectation dans l’enseignement supérieur par Parcoursup a permis aux formations universitaires de classer les candidatures reçues selon des critères qu’elles pouvaient définir. Se pose alors la question d’un renforcement des hiérarchies entre les universités, mais aussi des effets plus ou moins forts liés à ce changement selon que les disciplines soient plus ou moins demandées par les bacheliers.

La mise en place de Parcoursup est souvent associée à l’introduction de la sélection à l’université, et donc à la généralisation de celle-ci à l’ensemble des formations du supérieur. Nombre de filières, comme les classes préparatoires aux grandes écoles ou encore les sections de technicien supérieur, pouvaient déjà choisir le public qu’elles allaient recevoir. Se centrer sur les formations de licence permet de comprendre ce qui a véritablement changé dans le recrutement étudiant. Nous proposons pour cela d’analyser deux filières, inégalement demandées, le droit et l’histoire, puis la filière de droit sur deux territoires où l’offre de formation est plus ou moins diversifiée, l’Île-de-France et Midi-Pyrénées.


Mathieu Rossignol-Brunet est membre du Laboratoire IREDU, université de Bourgogne : mathieu.rossignol-brunet@u-bourgogne.fr

Leïla Frouillou est membre du Laboratoire CRESPPA-GTM, université de Nanterre : leila.frouillou@parisnanterre.fr

  • La publication de cet article s’inscrit dans le cadre d’un partenariat avec le CEREQ

Classer les candidatures

Le système Admission Post Bac (APB) existait au niveau national depuis 2009. Les personnes candidatant étaient invitées à faire des vœux, et à les ordonner selon leur préférence. En cas d’acceptation dans un vœu mieux classé, les vœux plus lointains n’étaient plus pris en compte. Les universités n’avaient quant à elles pas la possibilité de classer les différentes candidatures reçues, ni de les refuser, à l’exception de quelques licences officiellement sélectives. Une part importante des licences, comme la majorité de celles en histoire, étaient des formations dites « à capacités d’accueil suffisantes » : généralement, les personnes qui souhaitaient y étudier étaient acceptées. D’autres, comme le droit, étaient dites « en tension » : le nombre de candidatures excédaient (et excède toujours) le nombre de places. Plusieurs critères entraient alors en jeu pour départager les candidatures. Tout d’abord, une priorité liée à l’académie de provenance. Ensuite, le rang du vœu dans la hiérarchie des préférences. Si ces critères n’étaient pas suffisants, un tirage au sort était effectué.

C’est, entre autres, la médiatisation de ce tirage au sort qui a contribué au remplacement d’APB par Parcoursup à la rentrée 2018. Désormais, ces mêmes formations de licence, officiellement non sélectives (elles ne peuvent toujours pas refuser des candidats), ont la possibilité d’ordonner les candidatures selon des critères qui leur sont propres. On peut dès lors faire l’hypothèse que, dans le cas des licences en tension, cela se traduit par une sélection du public accueilli, puisque celles et ceux classés en bas de la liste ont de fortes chances de n’être finalement pas admis.

Une autre différence concerne les règles de priorité académique en Île-de-France. Avec Parcoursup, les rectorats d’académie fixent en effet, pour chaque formation, un taux pour éviter que les candidatures locales se retrouvent sans proposition. Or, depuis 2019, la sectorisation en Île-de-France n’est plus académique, mais régionale. Cela signifie qu’une candidature relevant de l’académie de Créteil ou de Versailles est tout autant prioritaire qu’une candidature de l’académie de Paris au moment de postuler dans une licence parisienne.

Il faut enfin ajouter à cela un contexte de croissance démographique important : depuis le début des années 2010, et pour encore quelques années, les bacheliers et bachelières sont de plus en plus nombreuses, ce qui augmente la concurrence sur les formations du supérieur.

Un recrutement de plus en plus hiérarchisé scolairement

À rebours des recherches montrant une relative stabilité des recrutements sociaux et scolaires entre les secteurs du supérieur français à l’échelle nationale entre APB et Parcoursup, nos analyses à d’autres échelles montrent tout d’abord que les personnes non titulaires d’un baccalauréat général sont de moins en moins nombreuses dans les formations des disciplines étudiées. C’est le cas dans la totalité des licences de droit, dans les académies d’Île-de-France comme dans celle de Toulouse, et dans la majorité des universités franciliennes en histoire. Les indicateurs, comme les taux de réussite, sont autant de rappels que le profil recherché à l’université n’est pas prioritairement celui de baccalauréats techniques ou professionnels, notamment en droit, tandis que la possibilité d’ordonner les candidatures permet à certaines filières de n’admettre désormais presque exclusivement que des personnes avec un baccalauréat général. Par exemple, à l’université Paris 13 en licence de droit, le taux de baccalauréat général parmi les admis est passé de 36% en 2016 à 70% en 2019. À l’université Paris 2, 100% des admis en droit sont des bacheliers généraux en 2019, contre 92% en 2016.

Une ségrégation scolaire accrue en Île-de-France

Un autre résultat majeur concerne l’augmentation considérable de la ségrégation scolaire entre universités, là où l’offre de formation est importante. Dans l’académie de Toulouse, la part de baccalauréats généraux avec mention bien ou très bien reste plutôt stable dans la plupart des établissements. En revanche, en Île-de-France, ces diplômes sont de moins en moins nombreux dans les universités de l’académie de Créteil et, dans une moindre mesure, celles de l’académie de Versailles, alors qu’ils ont augmenté de façon conséquente dans les universités parisiennes. Pour conserver les mêmes exemples, ils représentaient 4% des admis à Paris 13 en 2016, mais seulement 2% en 2019, et ce alors même que les bacheliers généraux y sont plus nombreux d’une part, et que le taux de bacheliers nationaux avec une mention bien ou très bien a augmenté sur la période d’autre part. Inversement, à Paris 2, ces bacheliers représentaient 41% des admis en 2016, et 78% en 2019.

Si dans les formations dites à capacités d’accueil suffisantes, le renforcement de la dimension scolaire du recrutement n’est pas évident, il est en revanche plus visible dans une filière en tension comme le droit, mais dans des proportions inégales selon les établissements. Les universités parisiennes, considérées comme plus prestigieuses, attirent et concentrent les meilleurs publics franciliens, au détriment de celles plus périphériques qui accueillent à présent moins de bacheliers non généraux, mais également moins de bacheliers généraux avec les meilleures mentions.

Des inégalités renforcées : une logique centre-périphérie

Le creusement des inégalités résulte de la combinaison de deux facteurs, à savoir la possibilité pour les universités de classer les candidatures, et la levée de la sectorisation académique en Île-de-France, où l’offre de formation est très fortement concurrentielle, car bien desservie par le réseau de transports en commun. Le recrutement extra-académique des formations a ainsi considérablement augmenté en Île-de-France, alors qu’il est resté relativement stable dans l’académie de Toulouse.

De fait, en droit, la distinction entre les licences officiellement sélectives (doubles licences par exemple) et celles théoriquement non sélectives ne fait plus guère sens. Toutes pratiquent une sélection, scolaire mais inégale. Certaines formations « non sélectives », comme les licences de droit de Paris 1 ou Paris 2, sont même plus sélectives scolairement que celles qui peuvent refuser des candidats : sans un excellent bagage scolaire, il est désormais presque impossible d’y entrer au sortir du secondaire. Ces transformations viennent ainsi renforcer le poids du passé scolaire sur le parcours d’études.

Dans les filières moins demandées, comme l’histoire, le public accueilli en première année de licence évolue plus marginalement, même si nos résultats montrent qu’au sein des différentes académies franciliennes, les universités accueillent un public de plus en plus semblable d’un point de vue socio-scolaire.

En revanche, en droit comme en histoire, les taux de remplissage diffèrent fortement selon les universités, venant là encore creuser les inégalités existantes. En effet, contrairement à ce qui se passait sous APB, les admissions sur Parcoursup se font au fil de l’eau, allongeant considérablement la procédure : les candidats reçoivent des réponses de mai à septembre, et valident leurs choix sur la même période. Or, les universités les plus prestigieuses, parisiennes donc, et plus demandées, sont celles qui connaissent le plus en avance l’ensemble des admis qu’elles vont accueillir, là où les universités les moins demandées, situées en banlieue, connaissent plus tardivement leur public. Par exemple, en 2019, 87% des candidats finalement admis à Paris 7 en licence d’histoire avaient validé cette proposition au 15 juillet, contre seulement 28% de ceux finalement admis à l’université de Créteil. Au 1er septembre, 38% de celles et ceux qui seront finalement admis à cette dernière ne l’avaient pas encore validé. Cela pose des problèmes à la fois pour les universités et les étudiants. Les premières sont en effet confrontées à des problèmes d’organisation, relatifs à l’incertitude des effectifs finalement accueillis (par exemple, combien de groupes de TD prévoir ?), tandis que les seconds, en plus d’être face à l’angoisse de ne pas encore savoir où étudier, ou celle de ne pas accéder à leur formation favorite, sont pénalisés dans l’accès au logement, et par ricochet dans la distance à leur lieu d’études, voire peuvent rater les premières semaines de cours.

En conclusion, nos analyses montrent que les instruments d’affectation dans l’enseignement supérieur ne sont pas sans incidence sur les publics accueillis à l’université. Dans les filières en tension, et où la concurrence est importante, la ségrégation scolaire s’accentue, en lien avec l’idéologie du « libre choix scolaire ». Par ailleurs, la diminution des baccalauréats non généraux dans les formations est permise par les nouvelles règles d’affectation, et résulte d’une politique adéquationniste du ministère de l’enseignement supérieur, qui tente de faire correspondre les poursuites d’études aux parcours scolaires antérieurs. Par conséquent, les possibilités d’orientation dans l’enseignement supérieur apparaissent de plus en plus conditionnées par le passé scolaire, ce qui nécessite, outre de bons résultats, de prendre en amont les « bonnes » décisions d’orientation, tant en ce qui concerne le choix des enseignements de spécialité que celui des options.


Illustration d’Adèle Huguet pour Mondes Sociaux : licence CC BY-NC-ND
Pour découvrir ses dessins, https://adelehuguet.wordpress.com/
Crédits images :

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Mathieu Rossignol-Brunet & Leïla Frouillou (13 janvier 2025). D’APB à Parcoursup. Un outil au service du développement d’universités « d’excellence » ? Mondes Sociaux. Consulté le 12 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/132gu


Mathieu Rossignol-Brunet & Leïla Frouillou

Mathieu Rossignol-Brunet est membre du Laboratoire IREDU, université de Bourgogne / Leïla Frouillou est membre du Laboratoire CRESPPA-GTM, université de Nanterre

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1 réponse

  1. 16/01/2025

    […] d’universités « d’excellence » ?Mondes Sociaux. Consulté à l’adresse https://sms.hypotheses.org/47191En 2018, le remplacement de la plateforme Admission Post-Bac (APB), d’affectation dans […]

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