Les lycéens à l’épreuve de Parcoursup
Lettres de motivation, attestations diverses ou encore valorisation de compétences scolaires et extra-scolaires, autant d’éléments qui constituent les dossiers des élèves pour Parcoursup. Procédure singulière, Parcoursup met aussi à l’épreuve les candidats, en créant un système de listes d’attente. Parcoursup, une succession d’épreuves ?
L’annonce de la mise en place de Parcoursup en 2017 a été suivie de nombreuses inquiétudes quant à ses répercussions sur les inégalités sociales et scolaires. Parcoursup est le résultat d’une réforme politique visant pourtant à améliorer l’orientation et la réussite des étudiants. C’est aussi une réponse apportée aux nombreuses critiques adressées à Admission Post-Bac, dont la procédure était dénoncée comme opaque, indéchiffrable, arbitraire et surtout injuste en raison du tirage au sort – pourtant effectué à la marge. La réforme tient-elle ses promesses ? L’article y répond par un suivi qualitatif de 34 lycéens tout au long de la procédure.
- Mizzi A., 2022, « La gestion émotionnelle de Parcoursup. Une épreuve entre inégalités de ressources et d’incertitudes », L’orientation scolaire et professionnelle, 51/1, p.137-162.
Alban Mizzi est membre du Laboratoire Centre Émile Durkheim, Université de Bordeaux : alban.mizzi@u-bordeaux.fr
Des algorithmes qui ne sont pas neutres
Les algorithmes d’APB et Parcoursup s’inspirent du modèle de Gale-Shapley conçu pour les mariages stables. Il vise à créer des affectations stables dans le sens où personne n’est dans une position où il préférerait être avec quelqu’un d’autre qui souhaiterait également être avec lui – une contrainte qui implique que chaque groupe classe les unités de l’autre groupe, sans ex-aequo et à l’aveugle. A priori, Gale-Shapley garantit deux avantages : celui d’une procédure à la fois rapide et finie, qui garantit d’aboutir à un équilibre quasiment instantané par le jeu des basculements de préférences sans qu’il n’y ait besoin de manipulations extérieures, et celui d’une intelligibilité qui rend la procédure claire pour tout le monde.
Admission Post-Bac (APB), étendu dès 2007 à la plupart des formations post-baccalauréat, qu’elles soient sélectives ou non, gérait les candidatures pour l’entrée en première année dans toutes les formations de l’enseignement supérieur. Lorsque le candidat recevait une proposition d’admission pour un de ses vœux, il était automatiquement démissionnaire des vœux qu’il avait classés inférieurement, ce qui faisait de la hiérarchisation des vœux l’alpha et l’oméga de la procédure APB. Les licences universitaires « en tension » entre le nombre de demandes d’inscription et leurs capacités d’accueil ne pouvaient pas sélectionner leurs élèves via des critères scolaires en raison du Code de l’éducation (article L612-3). Pour gérer ce problème, APB appliquait trois critères successifs : l’académie d’origine, la position du vœu dans la liste hiérarchisée (une « prime au premier vœu » constituait in fine une entorse au modèle Gale-Shapley en rendant la procédure « manipulable », et pouvant pénaliser les candidats « sincères »), et enfin, en cas d’égalité persistante, le tirage au sort, fortement décrié et qui contribua à son démantèlement.
Une épreuve temporelle et morale
Parcoursup introduit dès lors deux changements notables par rapport à APB : d’une part en rendant la sélection à l’entrée de l’enseignement supérieur explicite et généralisée aux licences, ce qui supprime le tirage au sort ; d’autre part en supprimant la hiérarchisation des vœux, qui donnait lieu à une procédure itérative plus lente. Bien qu’ayant l’objectif de simplifier le système, cela génère des listes d’attente, parfois prolongées et tout aussi délétères pour certains élèves.
La procédure mise sur la patience des lycéens qui peuvent se retrouver en attente pendant plusieurs semaines, voire plus, en fonction des réponses successives. Ceux qui se trouvent dans de meilleures dispositions reçoivent immédiatement plusieurs réponses positives, la suite revient à choisir parmi les formations leur ayant notifié une proposition d’admission. Les autres se retrouvent plongés dans l’attente des désistements des premiers. Cette attente place les élèves dans un travail cognitif d’estimation des chances d’admission. La gestion de cette attente peut être difficile : elle nécessite à la fois une résilience et une capacité à faire face à l’incertitude.
Somme toute, l’épreuve de Parcoursup n’est pas seulement temporelle : elle est aussi morale. À travers l’épreuve de l’orientation, les élèves sont au cœur des attentes familiales et sociales en matière d’école et d’orientation. Le verdict donné par Parcoursup conduit donc à des tensions émotionnelles chez les candidats qui vont finalement exercer un jugement sur leur propre valeur scolaire et symbolique, lequel entre parfois en décalages avec leurs espérances. Les promesses de transparence et d’objectivité du jugement conduisent pourtant au fait qu’il donne inévitablement des frustrations et des sentiments d’injustice.
Des expériences plurielles
L’enquête menée auprès de 34 lycéens permet d’en identifier quatre profils face à Parcoursup. Cette classification s’adosse à leurs ressources, la clarté de leurs projets d’orientation et leur rapport à l’épreuve. La colonne concernant les aspects émotionnels, cognitifs et moraux des candidats par rapport à Parcoursup est nommée « Épreuve ». Elle est assortie d’un symbole négatif lorsque l’épreuve leur est aisée, ou positif lorsqu’elle est pénible. La colonne « Ressources » fait référence aux avantages dont disposent les candidats pour faire face au processus de Parcoursup. Elles peuvent être matérielles (le soutien financier, l’accès à des cours…), mais aussi immatérielles (le soutien émotionnel et technique de la famille, l’encadrement lycéen ou les pairs…).
Ressources + | Ressources – | |
Épreuve – | Aristocrates | Détachés |
Épreuve + | Contrariés | Compulsifs |
Certains élèves sont confiants et bien préparés. Ils bénéficient d’un fort soutien familial et scolaire. Ils abordent Parcoursup avec sérénité et obtiennent généralement les résultats escomptés. Nous les appelons les Aristocrates.
Les Contrariés, bien que bien préparés, ressentent un stress important lié à l’incertitude de la procédure et à la pression de la performance. Ils ressentent du stress non seulement en raison des résultats de Parcoursup, mais aussi à cause de l’attente prolongée parfois imposée par le système. Ils craignent que leurs choix finaux ne soient, in fine, que des compromis.
Les Détachés adoptent une attitude plus désinvolte, avec un faible engagement dans la procédure et un soutien familial moins marqué.
Enfin, les Compulsifs sont caractérisés par une forte anxiété et une posture compulsive face à Parcoursup, ce qui peut les amener à prendre des décisions précipitées. Par exemple, en phase secondaire, l’élève peut accepter une proposition d’admission pour une formation qui ne l’intéresse pas, car il n’est pas à même d’estimer correctement les probabilités qu’il puisse remonter entièrement les autres listes d’attente.
Bien que Parcoursup offre pléthore d’informations, elle ne suffit pas à elle seule pour tous les lycéens. Ceux bénéficiant de meilleurs réseaux et d’un entourage leur permettant un accompagnement plus personnalisé et qualitatif sont moins mis à l’épreuve. Les autres peinent à se repérer dans une procédure pour laquelle il est crucial de trouver un équilibre entre une stratégie de fond, basée sur les aspirations personnelles, et une stratégie de forme, qui prend en compte les contraintes de la procédure.
L’expérience faite du processus imposé par la plateforme est étroitement liée aux ressources disponibles pour chaque candidat. En tentant de résoudre le problème de manipulabilité de la procédure, Parcoursup expose cependant les candidats à de nouvelles incertitudes et inquiétudes, générées par l’attente imposée par le système, les plaçant dans des horizons temporels incertains. Les témoignages montrent que cette incertitude rend la période d’attente très anxiogène pour les candidats disposant de moins de ressources, qui sont enclins à espérer une amélioration de leurs rangs, ce qui crée des effets pervers.
Le modèle de Parcoursup, bien qu’inspiré du modèle de Gale-Shapley, n’offre qu’une partie de ses vertus aux prix de contraintes nettes, lesquelles tiennent à la fois à la diversité et l’opacité des critères de sélection des établissements ainsi qu’aux incertitudes des listes d’attente en faisant un processus prolongé et étalé sur plusieurs vagues de réponses.
La réforme tient-elle ses promesses d’une orientation post-bac moins anxiogène et plus fluide ? Parcoursup expose les élèves à une forme de violence symbolique à travers le jugement scolaire. Ce système de sélection donne à voir des logiques de compétition acquises par les élèves qui sont évalués en permanence durant leur année de terminale. Chaque décision d’admission ou de refus est vécue comme la marque d’un jugement sur leurs capacités et leur potentiel. Cela va parfois confirmer, parfois éroder leur confiance en eux. L’élément décisif reste la manière dont les jeunes sont accompagnés.
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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Alban Mizzi (13 janvier 2025). Les lycéens à l’épreuve de Parcoursup. Mondes Sociaux. Consulté le 16 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/132gt
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