La montagne, entre tourisme et villégiature

Au XVIIIe siècle, les savants et les curieux qui explorent la montagne contribuent à en transformer la perception et le devenir. Ils vont nourrir un imaginaire qui, au siècle suivant, favorise le développement d’un ensemble de pratiques relevant du tourisme montagnard, centré notamment sur les eaux curatives associées à la bonne santé. Organisé à l’échelle des stations thermales par les décideurs privés, le tourisme de villégiature va rencontrer le tourisme ascensionniste. Tous deux partagent, loin des tourments politiques et économiques des villes, le goût du plaisir, de la détente et du changement d’air et de décor pendant la saison thermale. Comment cette rencontre s’est-elle produite ?
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- Meynen N., Castañer Muñoz E., Jalabert L., 2023, Patrimoines du tourisme thermal et de la villégiature en montagne des Pyrénées et d’ailleurs, Toulouse : Presses universitaires du Midi
Nicolas Meynen est membre du Laboratoire FRAMESPA UMR5136-CNRS, Université Toulouse Jean Jaurès : nicolas.meynen@univ-tlse2.fr
Esteban Castañer Muñoz est membre du Laboratoire CRESEM-EA 7397, Université Toulouse Jean Jaurès : castaner@univ-perp.fr
Laurent Jalabert est membre du Laboratoire ITEM-EA 3002, Université de Pau et des Pays de l’Adour : laurent.jalabert@univ-pau.fr
À travers l’attraction des eaux thermales se développe, au cours du xixe siècle, une mise en marché de la nature qui est variable selon les circonstances. Elle dépend de la présence d’investisseurs, de l’action des pouvoirs publics et des aménagements routiers. La qualité médicale des eaux joue aussi un rôle tout comme les réseaux de sociabilité et les efforts de promotion du territoire. Le développement d’une économie industrielle, par exemple par l’embouteillage et la commercialisation de l’eau, y contribuent également. Quel rôle ont joué l’urbanisme et l’aménagement du territoire dans cette mise en marché ?
Imaginaires et réalités économiques
Dans les Pyrénées, le réseau des stations thermales est principalement composé de petites stations souvent créées par des acteurs privés. Quelques stations, plus grandes, plus renommées, ont suivi un modèle classique d’aménagement. Elles possèdent des établissements thermaux emblématiques et des casinos, un parc aménagé avec des allées, des hôtels pour les touristes et de belles vues sur la montagne. Grâce au chemin de fer qui facilite l’accès à de nombreux voyageurs, la sociabilité dans ces stations se développe. Des touristes ou étrangers de passage font construire, en bordure des allées nouvelles, des villas résidentielles qui deviennent des marqueurs sociaux et le signe de l’appropriation des lieux durant quelques mois de l’année.
Les pratiques touristiques de montagne vont rapidement venir se greffer sur les pratiques thermales, et entament ainsi un long processus de domestication et de commercialisation de la « nature ». Le point de départ de cette domestication est le parc thermal, le plus souvent central, où la riche végétation ramène le curiste citadin dans un cadre connu. Aménagé avec goût et en fonction de contraintes naturelles géographiques et géologiques, il est directement attaché au système de traitement thérapeutique, créant ainsi un climat de confiance dans les soins. Tout autour, la nature sauvage s’impose comme un spectacle authentique à exploiter sur des sentiers aménagés qui enlèvent toute mauvaise surprise à l’ascension. Si le milieu montagnard est récréatif, il n’en demeure pas moins difficile et dangereux en raison des aléas naturels, comme en témoigne la multiplication des catastrophes au xixe siècle. La présence de l’activité thermale a joué un rôle dans la prise de conscience de l’importance de ces risques. Elle a participé de la mise en œuvre de travaux de sécurisation et de protection contre les crues, les inondations, les glissements de terrain, les éboulements, les avalanches. Parfois cela s’est fait au prix d’une importante artificialisation de la nature.
Entre-soi ou brassage social ?

Les stations thermales, avec des dynamiques variables selon les lieux, ont été des ponts de rencontres temporaires. Elles accueillaient des personnes de différentes classes sociales venues pour des raisons diverses, depuis la thérapie et la relaxation, aux pratiques de consommation et de sociabilité. Sur place, ces visiteurs forment un ensemble social de circonstance. Ils ont donné forme à un mode de vie saisonnier, construit autour de la cure et de la villégiature. Ce mode de vie est marqué par un urbanisme théâtralisé qui est le reflet matériel d’une société fondée sur l’entre soi. Se met en place, alors, un système de divertissements à l’origine de nouveaux espaces d’inventions de distinction. Avec ses codes, cet espace public de sociabilité et de divertissement fonctionne comme une scène transnationale pour des débats d’idées, le brassage culturel et artistique et les négociations politiques en tous genres. Mais, cette communauté de circonstance, qui se retrouve chaque année au milieu des montagnes, est coupée du terroir et de ses habitants. Elle perçoit leurs pratiques culturelles, rituelles ou festives (carnavals, fête des fleurs ou de la Saint-Jean, La Sanch, par exemple, dans les Pyrénées) seulement à travers le prisme du folklore. C’est néanmoins grâce à ce regard extérieur que les traditions ont pu être réinventées au sein des communautés locales.
En effet, il a poussé ces dernières à construire un sentiment d’identité ou un discours sur elles-mêmes. La rencontre existe pourtant : des cas d’hybridation sont à observer dans des pièces de théâtre où l’intrigue se déroule dans l’espace touristique montagnard, mais aussi dans l’architecture qui puise dans le répertoire des formes locales. C’est généralement le cas dans les petits établissements pour lesquels il est financièrement impossible de reproduire les codes architecturaux courus dans les grandes stations, notamment celles de Bagnères-de-Luchon, Barèges ou Cauterets, dans les Pyrénées.
L’éclectisme architectural comme conséquence
Dans les stations thermales, l’homogénéité architecturale n’est qu’une apparence. Les bâtiments neufs des thermes et des casinos sont pensés comme des produits commerciaux qui doivent façonner l’image de la station et être rentabilisés. Leur style classique respecte les doctrines académiques et témoigne du caractère officiel du thermalisme tout en répondant aux attentes conventionnelles d’une clientèle en quête de mécanismes de représentation sociale. L’architecture privée forme un corpus dense au caractère hétérogène, qui a façonné les stations dans leur vocation similaire entre thérapie et sociabilités. Elle rend compte d’un phénomène de société à la croisée des mondes anciens et modernes : l’éclectisme qui se répand avec plus de fantaisie dans les stations balnéaires. L’éclectisme thermal est un assemblage composite qui tend, au fil des ans, à se généraliser. Les meilleurs exemples sont ceux que la haute société locale a produits pour en faire des supports de représentation : les chalets et les villas des médecins thermaux rivalisent avec celles des figures politiques de l’ancienne aristocratie rurale. En pleine période de libéralisme économique, les classes récemment enrichies par l’industrie et le commerce tirent aussi leur épingle du jeu. Quant aux étrangers qui désirent s’établir dans ces villes thermales, ils finissent par intégrer la notabilité locale et contribuent à enrichir le patrimoine architectural.
L’espace montagnard, transformé par le tourisme et le thermalisme, mêle aménagements humains et nature sauvage. Cette évolution a facilité la rencontre de différentes classes sociales, mais aussi la réinvention des traditions locales. L’architecture des stations, tout en répondant à des besoins économiques, reflète ces dynamiques sociales et culturelles. L’espace de la montagne devient ainsi un lieu de rencontre et de métamorphose.
- Baglin, MeynenN., (coord.), 2021, « Les stations thermales secondaires en France aux xixe et xxe siècles. Une autre histoire du thermalisme ? », Les Cahiers de Framespa, n° 39
- Castaner munoz , Jalabert L. et Meynen N. (dir.), 2020, Thermalisme et patrimoines dans les zones de montagne en Europe du xviiie au xxiesiècle, Pau : Presses de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, Pau
- Delpech (dir.), 2023, Patrimoine thermal de la gloire au péril, Pau : PUPPA
- Delpech (dir.), 2021, Modèles d’architecture : typologies urbaines et architecturales dans les villes d’eaux de l’antiquité à nos jours, Pau : PUPPA
- Delpech, Jalabert L., 2020, « Thermalisme, montagne et politique », dossier thématique, Cahier d’Histoire Immédiate, n° 54
- Hagimont S., 2022, Pyrénées. Une histoire environnementale du tourisme (France-Espagne xviiie-xxiesiècle), Clamecy, Champ Vallon
Illustration d’Adèle Huguet pour Mondes Sociaux : licence CC BY-NC-ND
Pour découvrir ses dessins, https://adelehuguet.wordpress.com/
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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Nicolas Meynen, Esteban Castañer Muñoz et Laurent Jalabert (5 mai 2025). La montagne, entre tourisme et villégiature. Mondes Sociaux. Consulté le 23 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13v1t