L’alternance : un atout, mais pour qui ?

Parmi les mesures mises en œuvre par les pouvoirs publics pour améliorer l’accès à l’emploi des jeunes, l’alternance occupe une place centrale. Or, alors même qu’ils pourraient en tirer particulièrement bénéfice, l’alternance semble plus difficile d’accès pour les jeunes des Quartiers Prioritaires de la politique de la Ville (QPV). Comment expliquer ce paradoxe ?
- Personnaz E., Sawadogo A. F. W., 2024, « L’alternance, un plus pour les jeunes des QPV, à condition d’y accéder », Marseille: Céreq Bref, n°455.
Elsa Personnaz est chargée d’études au Département « Entrées et évolutions dans la vie active » du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) : elsa.personnaz@cereq.fr
Arthur Félix W. Sawadogo est chargé d’études au Département « Entrées et évolutions dans la vie active » du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), mais également chercheur associé à l’Institut de recherche sur l’éducation (IREDU – UR 7318), de l’Université Bourgogne Europe (UBE). arthur.sawadogo@cereq.fr
Les jeunes originaires des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) quittent le système éducatif moins diplômés que les autres, et en ayant moins souvent suivi une formation en alternance, notamment au niveau du secondaire. Pourtant, cette voie de formation est un levier d’amélioration de leurs chances d’accès à l’emploi (et plus encore à l’emploi stable). Quelles sont les raisons du moindre accès de cette population particulière à l’alternance ?
Qui sont les jeunes des QPV ?
Au nombre de 1 500, les QPV sont des territoires d’intervention du ministère chargé de la Ville, définis par la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 sur la base d’un critère de bas revenu.
Les jeunes résidant dans ces quartiers sont confrontés à des difficultés persistantes d’accès à l’emploi. Dans le cadre d’un partenariat avec l’Agence Nationale pour la Cohésion des Territoires (ANCT), le Centre d’études et de recherche sur les qualifications (Céreq) documente depuis plusieurs années leurs parcours scolaires et leurs débuts dans la vie active. Les données issues de l’enquête menée en 2020 sur la Génération 2017 confirment que les jeunes résidant en QPV connaissent davantage de difficultés scolaires et sont moins diplômés que les jeunes résidant dans les quartiers environnants : 26 % sont non-diplômés (contre 10 % pour des autres) et seulement 27 % sont diplômés du supérieur (contre 54 %). En 2020, leur taux de chômage est deux fois plus important que celui de leurs « voisins », c’est-à-dire des jeunes issus des quartiers environnants.
Ces difficultés d’insertion sont en grande partie attribuables au plus faible niveau de diplôme dont ils disposent à la sortie des études, celui-ci étant lui-même un marqueur de caractéristiques sociodémographiques plus défavorisées. En effet, les jeunes originaires des QVP sont plus souvent d’origine sociale modestes, et plus souvent immigrés ou issus de l’immigration que leurs voisins. Au-delà du diplôme, leurs difficultés sur le marché du travail sont aussi attribuables à un effet propre du territoire, qu’il provienne de pratiques discriminatoires sur le marché du travail ou d’un éloignement des opportunités d’emploi.
Comparer l’insertion professionnelle des jeunes en QPV à celle de leurs voisins
Représentative des 760 000 jeunes ayant quitté le système éducatif en 2017, l’enquête Génération, menée en 2020 par le Céreq contient des informations permettant de retracer leur parcours scolaire et d’examiner leurs conditions d’insertion au cours des trois premières années de vie active. Elle permet également de repérer les jeunes résidant dans l’un des 1500 quartiers prioritaires de la politique de la ville au moment de la dernière année d’études, grâce au travail de géoréférencement réalisé par l’ANCT.

Afin de permettre la comparabilité des deux populations au moment de l’insertion, l’étude a été restreinte aux sortants de formations professionnelles pouvant potentiellement se préparer à la fois par la voie de l’alternance et par la voie scolaire. Ont donc été exclus les jeunes sortants d’un cursus de bac général ou technologique, d’une licence générale ou d’une formation de niveau bac + 2/3/4 en santé-social, les docteurs, les sortants après la troisième ainsi que les personnes dont on ne disposait pas d’informations permettant d’identifier le lieu de résidence.
Les jeunes des QPV accèdent moins à l’alternance
Parce qu’elle permet une immersion plus rapide dans le milieu professionnel tout en favorisant le développement des compétences attendues par les employeurs (et par conséquent l’employabilité sur le marché du travail), l’alternance favorise de meilleures conditions d’insertion professionnelle. Or, à la fin de la troisième (premier palier de l’orientation), les jeunes issus des QPV sont plus nombreux que leurs voisins à s’orienter (ou à être orientés) vers la voie professionnelle, en bac pro ou en CAP, et leur orientation est par ailleurs plus souvent contrainte. Cependant, seuls 9 % des jeunes originaires des QPV (contre 16% de leurs voisins) signent un contrat en apprentissage.
Cet inégal accès à l’alternance selon le territoire d’origine perdure au fil de la scolarité. Sur l’ensemble des jeunes sortis de formation initiale en 2017, quel que soit le niveau de diplôme, ceux résidant en QPV ont moins fréquemment que les autres suivi leur dernière année de formation en alternance : 23 % contre 33 % de leurs voisins, soit 10 points d’écart.Si cet écart dans l’accès à l’alternance selon le lieu de résidence s’observe à tous les niveaux de la formation, il diminue à mesure de l’élévation du niveau d’études. Il passe ainsi de 13 points pour les sortants du secondaire à 10 points pour ceux du supérieur court et 3 points pour les sortants du supérieur long.
Quelles sont les facteurs de cet inégal accès à l’apprentissage ?
Plusieurs facteurs pourraient expliquer cet écart : l’éloignement de l’entreprise ou du CFA – ces jeunes des QPV subissant une série de freins à la mobilité géographique –, mais aussi le manque d’accompagnement lors de la phase de recherche d’une place en organisme de formation et surtout d’une entreprise d’accueil. L’apprentissage est l’occasion encore d’une sélection lors de la phase d’orientation quand certains jeunes ne sont pas informés de la possibilité de l’apprentissage ou en raison des pratiques de sélection des employeurs, préjudiciables aux jeunes des QPV.
Les motifs d’interruption d’études tendent d’ailleurs à conforter ces pistes explicatives. Ces jeunes sont en effet proportionnellement plus nombreux que leurs voisins à citer les difficultés à trouver un employeur pour une formation en alternance et l’absence de formation à proximité parmi les raisons d’arrêt des études.
Un bénéfice accru pour les jeunes des QPV
L’alternance semble favoriser l’obtention du diplôme de fin d’études. En effet, les jeunes ayant préparé leur formation par le biais d’un contrat de professionnalisation ou d’apprentissage parviennent plus fréquemment que les sortants de la voie scolaire à obtenir leur diplôme de fin de cycle de la formation préparée. C’est le cas en particulier pour les jeunes des QPV, et ce quel que soit le niveau d’études. Dans ces territoires, la part des alternants qui ont obtenu leur diplôme de fin d’études est supérieure de 7 points à celle des sortants de la voie scolaire dans le secondaire et de 9 points dans l’enseignement supérieur. L’écart est seulement de deux points pour leurs voisins, aux deux niveaux de formation.
Quel que soit le lieu de résidence, l’alternance facilite l’insertion professionnelle : dans l’ensemble, pendant leurs trois premières années de vie active, près de huit jeunes diplômé·es alternant·es sur dix ont connu des parcours dominés par l’emploi, c’est-à-dire une présence (quasi) continuelle dans l’emploi plutôt qu’au chômage depuis la fin de la formation initiale, soit 12 points de plus que les diplômé·es de la voie scolaire.
Cette plus-value de l’alternance semble particulièrement sensible pour les jeunes des QPV, leur permettant de compenser en partie le retard à l’insertion accusé par rapport à leurs voisin·es. Ainsi, si l’on s’intéresse à la part de jeunes ayant passé davantage de temps à travailler qu’au chômage pendant leurs trois premières années de vie active, l’écart entre les deux populations (alternance vs scolaire) est de 17 points pour les jeunes des QPV pour descendre à 8 points parmi les voisin.es.
L’avantage demeure néanmoins en faveur des jeunes alternants résidant en dehors des QPV : en octobre 2020, 83 % sont en emploi contre 71 % de leurs homologues issus de ces quartiers. Mais une fois en activité, l’écart d’accès à un emploi stable diminue au point de disparaître : originaires des QPV ou des unités urbaines englobantes, les jeunes formé·es en alternance occupent dans les mêmes proportions un emploi en EDI après trois ans de vie active (83 % pour 84 %).
Un dispositif à renforcer et faciliter
Les disparités d’accès à l’alternance entre les jeunes de la Génération 2017 résidant dans les quartiers prioritaires et les jeunes urbains non originaires de ces quartiers, en défaveur des premiers, sont avérées. Elles s’observent dès le lycée, en première année de CAP ou de bac pro, et s’amenuisent toutefois à mesure de l’élévation du niveau de formation initiale. En revanche, le bénéfice de l’alternance pour l’insertion s’avère plus marqué pour les jeunes originaires des QPV, en particulier pour ceux entrés dans la vie active avec un diplôme du secondaire comme plus haut diplôme, permettant ainsi à ces derniers de rattraper, en partie, le retard qu’ils accusent à l’insertion par rapport aux autres jeunes. Renforcer et faciliter l’accès à cette voie de formation pourrait compléter l’arsenal des mesures déjà déployées. Des actions dans ce sens pourraient ainsi être intégrées dans le cadre des Cités éducatives. Cet effort devrait davantage concerner l’enseignement secondaire, où le bénéfice de l’alternance paraît plus important.
- Personnaz E., Sawadogo A.F.W., Robin J., 2024, Évolution de l’insertion professionnelle des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville entre la Génération 2010 et la Génération 2017, ANCT-ONPV
- Couppié T., Gasquet C., 2017, « Apprentissage et voie scolaire : comment expliquer les différences d’insertion observées ? », dans Rendement éducatif, parcours et inégalités dans l’insertion des jeunes, Céreq Échanges, n° 5
- Kergoat P., 2022, « Les coulisses de la formation professionnelle : processus de sélection à l’entrée de l’apprentissage », Formation emploi, n°159
Illustration d’Adèle Huguet pour Mondes Sociaux : licence CC BY-NC-ND
Pour découvrir ses dessins, https://adelehuguet.wordpress.com/
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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Elsa Personnaz et Arthur Félix W. Sawadogo (5 mai 2025). L’alternance : un atout, mais pour qui ? Mondes Sociaux. Consulté le 23 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13v1r