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Pourquoi les villes camerounaises changent … mais pas pour tout le monde ?

Quand on s’imagine les villes camerounaises, et si l’on se les imagine, les images qui reviennent le plus souvent sont celles de quartiers précaires, bas et construits par les habitants eux-mêmes pour y résider, sans autorisation de l’État. Pourtant, les capitales africaines changent et elles changent très vite. Les immeubles se multiplient, les grues s’activent, les tours poussent et des panneaux publicitaires annoncent des projets hypermodernes. Dans le même temps, les gouvernements camerounais, aussi bien qu’ivoiriens, sénégalais ou encore burkinabais annoncent des programmes de construction de logements sociaux. Comment comprendre ces transformations ? Les citadins africains vont-ils pouvoir accéder à des logements modernes et décents ? Qui construira ces logements ?

Si ce phénomène s’observe dans plusieurs grandes villes au sud du Sahara, nous nous concentrons ici sur celles de Yaoundé et Douala, respectivement capitale politique et cœur économique du Cameroun. Il s’agit donc de garder en tête que si nombre des dynamiques et caractéristiques présentées dans cet article ressemblent au cas camerounais (histoire et leg colonial, pauvreté urbaine, néolibéralisation), celui-ci est spécifique et que chaque pays et ville africaine a sa propre histoire et trajectoire.


  • Jourdam-Boutin M., 2024, Néolibéralisation des politiques publiques de logement au Cameroun, Thèse de Géographie. Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, Paris

Mathilde Jourdam-Boutin est membre du Laboratoire Mesopolhis, Aix Marseille Université et chercheure associée au Laboratoire Prodig


Des politiques publiques de logement pas si nouvelles

Les habitants des grandes villes camerounaises ont, depuis longtemps, construit leurs maisons eux-mêmes, petit à petit, brique après brique. Les maisons comme les quartiers semblaient grandir au rythme des familles sans planification ou équipement préalable de l’espace, et surtout, sans régulation par l’État camerounais. Dès lors celui-ci a pu être jugé absent ou défaillant tant par les chercheurs, les populations ou encore les institutions internationales. 

Pourtant les instances étatiques au Cameroun se sont toujours intéressées au logement de la population dans les grandes villes. À l’époque coloniale, il permet d’assurer la ségrégation entre des Européens blancs, peu nombreux, et les populations noires déjà présentes en délimitant des espaces différenciés de lotissements. Juste avant la Seconde Guerre mondiale, les autorités françaises commencent même à construire quelques logements destinés à des Camerounais : il s’agit de respecter les droits à un logement de fonction des quelques auxiliaires locaux, tout en assurant la modernisation de leurs modes de vie par les structures de ces logements inadaptés à la cuisine en plein air ou aux familles nombreuses.

Après l’indépendance du pays en 1960, le jeune État camerounais ne change ni le public cible, les fonctionnaires, ni la vocation des politiques publiques de logement destinées à moderniser le paysage des grandes villes camerounaises et le mode de vie des fonctionnaires. Pour mener à bien les projets de constructions de ces logements publics, l’État s’appuie principalement sur la Société Immobilière du Cameroun (SIC), créée par les Français, et sur deux nouvelles institutions : la Mission d’Aménagement et d’Équipement des Terrains Urbains et Ruraux (MAETUR), en charge de créer des lotissements, et le Crédit Foncier du Cameroun, qui finance des prêts d’acquisitions pour les particuliers et les opérations publiques. Ainsi pour pouvoir construire, l’État lui-même se construit.

Quand l’État s’en va et puis revient … en privatisant

Suite à la baisse des cours des matières premières dans les années 1980, le Cameroun est considéré comme surendetté. À l’instar d’autres pays pauvres, les institutions financières internationales, telles que le FMI, n’accordent leur aide que si le gouvernement camerounais développe des politiques d’austérité, de privatisation et de libéralisation, censé lutter contre la corruption et le surendettement.

Une fois une partie des logements publics vendus, L’État camerounais semble alors s’effacer peu à peu du secteur du logement et de la gestion urbaine de Yaoundé et de Douala jusqu’aux années 2000. La période est caractérisée par une forme de laissez-faire des pouvoirs publics à l’égard des occupations des logements publics non privatisés, et plus largement de l’urbanisation illégale de terrains urbains. Cette tolérance de l’État s’explique autant par le manque de moyens économiques et humains que par une stratégie de pacification politique alors que les conditions de vie et les indicateurs de développement se dégradent. Le logement continue donc d’être un objet politique.

L’annulation des dettes extérieures du Cameroun en 2006 permet au pays de redevenir solvable et, ainsi, de contracter de nouvelles dettes supportant la reprise des politiques publiques. Cependant, cette faveur financière n’a été accordée qu’après les preuves d’adhésion de l’État camerounais à la « bonne gouvernance » et aux normes du nouveau management public. Ces deux notions impliquent une vision dépolitisée de l’État relégué au rang d’acteur technique chargé d’administrer et de coordonner des acteurs privés marchands ou non de la manière la plus performante possible.

Concrètement cela implique que le principal objectif des institutions et pouvoirs publics camerounais est désormais d’être rentables. Pour ce faire, la SIC, le CFC et la MAETUR qui travaillaient autrefois ensemble pour fournir des logements décents à des prix modérés, conduisent désormais des projets en fonds propres d’immobilier luxueux. Sous l’égide du ministère de l’habitat et du développement urbain, les trois acteurs sont également remobilisés au sein du grand programme de construction de 10 000 logements qui n’ont de sociaux que le nom et de 10 000 parcelles assainies lancé en 2009. Ce programme se distingue cependant de ceux des années postindépendances par la large place accordée aux acteurs privés internationaux (français et chinois) comme nationaux.

En effet, au cours de cette même période, le gouvernement conduit des réformes et adopte des lois autorisant des acteurs privés marchands à investir dans le secteur immobilier résidentiel, c’est-à-dire à construire du logement dans le seul but de le vendre. Si l’on pouvait croire à un nouveau recul de l’État, c’est tout le contraire. L’État est toujours là : dans les coulisses du marché, c’est lui qui encadre, oriente, réglemente. Dans le cadre des opérations publiques il choisit les entreprises et dans le cadre des opérations privées il délivre les autorisations d’accès au foncier et à l’activité immobilière. En somme, il organise le marché.

Des nouveaux acteurs pour des villes qui changent… en apparence  

À Douala comme à Yaoundé, les nouveaux acteurs du logement qui se constituent promoteurs ne sortent pas de nulle part. Ce sont souvent des individus disposant de solides réseaux et issus de l’administration, du monde politique ou des affaires. Ils comptent d’ailleurs davantage sur leurs appuis politiques, des arrangements fonciers ou des fonds publics locaux pour financer leurs projets que sur des banques internationales ou de grands investisseurs étrangers encore très rétifs à investir ce marché incertain. Cela maintient aussi ces acteurs marchands dans une dépendance au système politique camerounais connu pour ses logiques corruptives et clientélistes. Le logement, cette fois dans le droit de le produire et de le vendre, demeure donc un outil de contrôle. 

Les nouveaux promoteurs construisent donc… mais pour qui ? Et comment ? Le plus souvent, pour les plus privilégiés, car ils sont nombreux à croire que ce segment de marché est non seulement le plus fiable, mais aussi le plus lucratif. On observe donc une transformation de Yaoundé et Douala : les immeubles remplacent les maisons du centre-ville, le béton et le verre remplacent le bois et la tôle, tandis qu’en périphérie des lotissements pavillonnaires remplacent les champs. Le paysage devient plus dense, plus vertical et plus gris

Pour autant ce changement reste partiel. D’abord la majorité des habitants n’a pas les moyens d’accéder à ces nouveaux logements, qui demeurent vides. Ils continuent donc de construire par eux-mêmes, de façon progressive et le plus souvent sans autorisation. Ensuite parce que les promoteurs eux-mêmes ne respectent pas toujours les normes, les règlementations ou les calendriers de chantiers. La différence esthétique ne reflète donc pas toujours une différence de pratiques. En revanche, ces nouveaux projets immobiliers marchands apparaissent encore plus déconnectés des besoins des plus pauvres.

Ce qui se passe au Cameroun peut sembler spécifique. Pourtant, il fait écho à des tendances qu’on observe en Afrique et même ailleurs : un retour de l’État, non pas comme garant du droit au logement, mais comme organisateur du marché, un acteur qui bâtit des politiques publiques en faveur des acteurs privés.

Ce mélange entre public et privé, entre réglementation et opportunisme, donne naissance à des formes urbaines nouvelles, mais il reflète surtout le rapport de l’État camerounais à ses citoyens ou à ses villes, sa manière de penser le logement comme outil politique, et ce même lorsqu’il semble céder la place au marché.


  • Choplin A., 2020, “Matière grise de l’Urbain : la vie du ciment en Afrique”, MétisPresses.
  • Marie A., 1997, L’Afrique des villes. Éditions Karthala.
  • N’goran A., Fofana M. et Akindès F., 2020., « Redéployer l’État par le marché : la politique des logements sociaux en Côte d’Ivoire », Critique internationale, n° 89, vol. 89
  •  Watson V., 2014. « African Urban Fantasies: dream or nightmares Environment and Urbanization, n°1, vol 26

Crédits images :

  • Freepik
  • Clker-Free-Vector-Images de pixabay

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Mathilde Jourdam-Boutin (2 juin 2025). Pourquoi les villes camerounaises changent … mais pas pour tout le monde ? Mondes Sociaux. Consulté le 10 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/141er


Mathilde Jourdam-Boutin

Mathilde Jourdam-Boutin est membre du Laboratoire Mesopolhis, Aix Marseille Université et chercheure associée au Laboratoire Prodig

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